mercredi 28 juillet 2010

Le désir comme grâce de Dieu

« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas »
Qu’est-ce qui peut séparer ce que Dieu a uni ? le manque de dialogue ? La soif de pouvoir et de domination sur l’autre ? La projection de soi dans nos réalisations, par exemple dans le travail ? Pour y répondre, c’est plutôt à ceux qui ont été mariés depuis des années de le faire : eux ils savent quelles ruines ils ont frôlé, et comment ils les ont traversées.

« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas »
Mais après tout, pourquoi ne pas séparer ce que Dieu a uni ? Tant de gens se séparent ! Qu’y a-t-il de si important dans ce que nous célébrons aujourd’hui ?

Le livre biblique du Cantique des Cantiques met en scène le désir entre un homme et une femme, la recherche éperdue de l’être aimé. Peut-être que nous pouvons y trouver des réponses ?
Le Cantique chante l’infinie beauté des retrouvailles, la souffrance du désir, pour lequel il n’y a aucun assouvissement définitif. C’est un texte d’amour, où le nom de Dieu n’est jamais mentionné, c’est un livre assez marginal à cause de sa forme et son contenu. Y est exprimée l’égalité du désir amoureux chez l’homme et chez la femme. Ce n’est pas l’histoire d’un homme qui désire posséder une femme, c’est un va et vient entre l’homme et la femme, entre le désir de l’un et le désir de l’autre.
Le côté religieux est balayé, il y a simplement un couple qui s’aime, sans visée de procréation, ni de mariage pour l’éternité. Dans ce texte de huit pages sur les 2500 pages que contient la bible, pas de prescriptions, ni de lois humaines; les autres pages sont pleines de Dieu, d’histoire, de lois et de mythes ; ici, rien de tout cela...

Certains maîtres du Talmud se sont battus pour maintenir le Cantique dans la bible, comme Rabi Aqiba, qui est un grand mystique juif de la fin du premier siècle. Et de même chez les chrétiens. Jusqu’à Calvin qui a vivement défendu l’introduction du Cantique dans le canon protestant.
Pourquoi cette polémique autour de ce texte ?
Peut-être à cause de la gène de livrer ces images sensuelles. De nombreux commentateurs ont cherché à en adoucir le contenu, leurs interprétations sont des métaphores: ces bouches ne sont pas des bouches, et ces jambes ne sont pas des jambes, non, ce sont des métaphores, le Cantique parle du bon Dieu et de Jésus-Christ ! On peut y lire le chant d’amour de l’âme dans son élévation vers Dieu, on peut y lire aussi le chant de l’alliance entre Israël et Dieu, ou encore y reconnaître les époux que sont le Christ et l’Eglise.

Et en effet, les hommes ont souvent utilisé des métaphores sexuelles pour qualifier la mystique. Pourtant, il faut bien reconnaître que ce texte évoque la part la part de l’homme la plus intime, celle qui le traverse et qui le dépasse ; le désir. Et quoi qu’il en soit, le désir n’est jamais condamnable, il est noble.
Mais il doit être cadré pour ne pas être vécu comme une aliénation. Le désir humain est à l’origine de bien des dépassements, il peut même conduire à se passer de Dieu.

L’un des grands mystiques du soufisme, Ibn Arabi au XIIème - XIIIème siècle pose la question du désir, aussi bien de l’homme pour la femme, que du spirituel pour son Dieu.
En pèlerinage à la Mecque Ibn Arabi tomba éperdument amoureux d’une jeune femme persane, et cet événement de sa vie lui révéla que le désir en nous est un reflet du désir d’absolu. C’est de ce désir fou qu’il découvre le visage ultime du double désir de l’homme pour son Dieu, comme de Dieu pour sa créature.
Pour Ibn Arabi, il n’y a pas de séparation entre désir humain et désir vis-à-vis du divin, il y a une unité, peut-être même une unicité profonde du désir. Le désir fondamental n’est autre que le désir divin, et le désir du fidèle n’est autre au fond que le désir de Dieu s’épanchant, se donnant dans la création.

Or qu’est ce que désirer ? Etymologiquement, la racine latine de ce mot c’est dé-siderare, (sidus, l’astre). Désirer c’est à dire avoir perdu son étoile, regretter l’absence de l’astre. Un manque qui donne la mesure de Dieu, de l’infini. Voilà une étymologie qui exprime que tout désir humain trouve sa source dans le manque même de l’absolu, et qui exprime aussi que celui qui est éperdu d’amour et de désir… est un pauvre ! Et cette pauvreté de l’homme est ontologique, elle est irrémédiable, inversement, la plénitude de l’être, c’est ce qui fonde la Seigneurie divine. En sorte que, pour Ibn Arabi, le désir, c’est ce qui, dans l’essence de l’homme, exprime le plus authentiquement la réponse à l’acte créateur.
Ce qui est à la portée du désir, c’est la manifestation de Dieu dans la personne aimée. Elle n’est pas le Dieu caché, mais elle devient, dans l’expérience amoureuse le dévoilement du Dieu personnel. En sorte que l’amour est alors un acte de sainteté, on pourrait dire que quand un couple s’unit, Dieu est là. Ainsi, le mouvement amoureux c’est ce qui sauve l’homme parce qu’il le fait entrer dans l’expérience de Dieu. Le désir et l’amour sont alors vus comme une expérience de rédemption.

« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. »
Le mariage est appelé à exprimer tout ce que l’on porte comme désir et amour, et à refléter le désir et l’amour divins. Refléter ce n’est pas assez, le mariage est appelé non seulement à l’expression mais même à l’incarnation de l’amour divin. Cette union est Icône de l’Alliance Eternelle, elle est temple saint, où Dieu fait sa demeure.
Votre mariage ne vous appartient pas, vous en êtes responsables mais il ne vous appartient pas, et c’est peut-être la raison pour laquelle c’est un acte public. Votre mariage vous dépasse, il engage d’abord vous, mais il n’engage pas que vous ; d’autres s’engagent, et Dieu lui-même s’engage. Votre mariage est un voyage, charnel et spirituel.
Qu’il soit un acte de sainteté !

mercredi 21 juillet 2010

« Je ne parviens pas à croire »

« Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Ce que vous l'avez fait à l'un de ces petits de mes frères et soeurs, c'est à moi que vous l'avez fait. »

Dans cette histoire, il y a des gens qui ont pris soin des autres lorsqu’ils étaient fragiles, malades, affamés… Et tout d’un coup Jésus leur dit Merci.
Alors ils répondent : pourquoi tu dis merci ?
Parce que ce sans le savoir, le bien que vous avez fait à tous ces gens, c’est à moi que vous l’avez fait. Et Jésus rend hommage à tous ceux qui, sans le savoir, l’ont accueilli, visité, nourri.

Beaucoup d’entre nous disent « je ne parviens pas à croire, je le souhaiterais mais je n’y parviens pas. » Et à l’occasion de la mort, disent encore « j’envie l’espérance des chrétiens, mais je ne peux pas croire à la résurrection. »

Pour ceux qui croient en la résurrection, l'existence n'est pas le point final de la vie.
Dieu suscite de nouveau l'être, d'une façon que nous ne savons pas. Dans la foi, nous confessons que le Christ a vaincu la mort, qu'il s'est levé du tombeau, premier-né d'une multitude.

Mais comment s’en convaincre si l’on ne peut pas y croire ?

Pour ma part je n’ai pas de certitude,
Je n’ai pas de savoir ferme, pas de preuve, mais seulement un choix,
Le choix de la foi.
Ma foi et bousculée, mais elle cultive en moi le "peut-être".

Peut-être que c’est vrai qu’ils ont vu Jésus réssuscité.
Peut-être que c’est vrai que Dieu existe et qu’il appelle les vivants à la confiance, et qu’il nous emmène au delà de notre mort.

Si c’est vrai, alors ça change tout. Ça change le sens de la mort, ça change la perspective de l’existence.

Qu’avons-nous à notre disposition pour douter de la résurrection de Jésus ?
Il faut envisager soit une falsification des témoignages,
soit un délire collectif touchant une vingtaine de personnes de l’entourage de Jésus.

C’est possible.
C’est possible que ce soit une hallucination collective,
C’est possible aussi qu’une falsification ait pris place dans l’entourage de Jésus. Ce serait d’ailleurs assez cynique qu’ils aient choisi de prêcher par un mensonge un Christ qui est "le Chemin, la vérité et la vie".

A l’inverse, il est possible d’accorder foi à leur témoignage.
Peut-être que Oui il s’est levé de la mort, et
peut-être que Oui nous sommes promis nous aussi à nous lever de la mort ?

Oui, autre chose est en germe, dont l'heure n'est pas encore venue.
La plus belle analogie est celle de la Chrysalide du papillon. Elle semble morte, recroquevillée. Pourtant il en sortira une beauté jamais imaginée, une légèreté qui n'a aucune commune mesure avec la vie rampante de la chenille.
Autre analogie, celle du gland et du chêne. Il y a une telle démesure entre eux! Mais si la graine ne meurt, comment pourrait-elle pousser et finalement porter du fruit? Tombée en terre, elle disparaît à nos yeux. Mais la vie est à l'œuvre.

"Ce que vous l'avez fait à l'un de ces petits de mes frères et sœurs, c'est à moi que vous l'avez fait."
Il y a des actes que nous faisons, qui engagent l’éternité.
Jésus dit que la façon dont nous acceptons une fraternité avec les plus vulnérables d’entre nous, engage l’éternité.
Venez, héritez de ce que Dieu a préparé pour vous depuis la création du monde.

L’une des qualités célèbres de Françoise, c’était sa capacité, dans son travail, à tisser des liens avec tous, sans distinction de position sociale, depuis le magasin jusqu’à la direction. Il me semble que Jésus fait allusion à cette capacité à tisser des liens avec tous, sans distinction de position sociale.
Il me semble qu’à Françoise aussi, Jésus dit : « Viens ma bien aimée – reçois en héritage cette fraternité universelle en germe depuis la fondation du monde ».

La longue maladie de Françoise nous a préparés à cette séparation. C’est n’est pas plus facile pour autant.

Je voudrais vous inviter maintenant à entrer dans le temps du Merci. C’est le sens de cette eucharistie que nous allons célébrer. Eucharistie est mot grec qui signifie Grand Merci.
Merci pour Françoise, pour tout ce que nous avons reçu dans sa compagnie, merci pour sa vie, merci de nous l'avoir donnée.

Un roc pour y bâtir sa maison

Pour un mariage.
Un commentaire de l’Evangile de Mathieu (7,21. 24-29)

Comme les disciples étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait:
« Il ne suffit pas de me dire 'Seigneur, Seigneur !' pour entrer dans le Royaume des cieux, mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux.
« Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et le met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé et s'est abattue sur cette maison; la maison ne s'est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc.
« Et tout homme qui écoute ce que je vous dis là sans le mettre en pratique est comparable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé, elle a secoué cette maison; la maison s'est écroulée, et son écroulement a été complet. »




Marion et Félix,

vous avez choisi ce texte : bâtir sur le roc
On comprend que ce texte aborde une question qui vous concerne : bâtir sur le roc votre histoire, votre foyer, votre avenir.

Au risque de vous surprendre, je voudrais démentir certaines interprétations de ce texte
Quel est ce roc sur lequel bâtir ?
L’amour ? la volonté de Dieu ?
La fidélité, le respect ?

Sur quel roc allons-nous bâtir notre vie ?
On cherche un roc solide, immuable, qui n’est pas érodé par le temps.
On se tourne vers Dieu parce qu’on a l’idée qu’il réside en Dieu la solidité à l’épreuve du temps. Parce qu’on se dit que Dieu-l’Eternel, est une garantie contre l’érosion.

Il y a des rocs qui se révèlent plus fragiles, plus friables que prévu.
Ceux qui sont ici l’ont peut-être expérimenté.
Certains couples se sont unis avec la certitude que leur amour ne faiblirait pas. Mais l’amour se transforme, vous le savez mieux que moi. Et il est assez rare que la Passion amoureuse se prolonge. C’est donc autre chose qui sert de roc ?

Laissez-moi poser la question à ceux qui sont plus avancés en âge :
Sur quel roc avez-vous fondé votre vie ?
sur le roc de l’amour ? de la fidélité ? du travail ? de l’éducation des enfants ? des valeurs qui sont les vôtres ?
Certains rocs ne tiennent pas le coup. Ils se révèlent factices, trompeurs.
La palme du roc trompeur, c’est l’argent, qui est un trompeur bien connu. Mammon, le dieu Argent, dieu trompeur.
Tout le monde sait cela, et on a bonne presse à dénoncer la course à l’argent, à l’apparence.

Ces rocs trompeurs, la bible les appelle idoles.
Ne vous fondez pas sur des idoles, car votre barque sombrerait…

Est-ce de cela que Jésus parle dans cet évangile ? Je ne crois pas.
Il n’est pas dans les habitudes de Jésus d’avoir des interprétations moralisantes.

Mais alors rebondit encore la question que pose ce passage de l’évangile de Matthieu :
« que faut-il faire pour bâtir sa vie sur le roc, pour entrer dans le royaume des cieux ? »

Jésus répond.

"Cette parole que je vous dis, mettez-la en pratique."
Quelle parole ? Qu’est-ce qu’il a dit précisément ?
on aurait envie de repasser l’enregistrement pour réécouter.

"Tout homme qui met en pratique la Parole… "
Quelle parole ? la parole de Dieu ? la loi ? les commandements ?
non, pas la parole de Dieu,
mais tout simplement la parole…
La parole, l’échange, la verbalisation, voilà le roc.
Se parler, se dire les choses en face, se dire les choses avec respect,

"Tout homme qui met en pratique la Parole… "
Ce qui est inhumain, c’est de ne pas parler. Vous le savez dans vos couples, dans vos familles, dans votre travail : ce qui est inhumain c’est de ne pas se parler, de ne pas se dire les choses, de ne pas faire de l’autre un interlocuteur.
Elles sont là les plus grandes blessures que nous nous infligeons les uns aux autres, dans le manquement à la Parole.
Soit par le mensonge,
soit plus simplement par l’omission de parole.
C’est bâtir sa maison sur le sable que de s’habituer à pratiquer le manquement à la parole.
La Parole est ce roc. La parole qui entre nous se modifie, évolue,
la parole, au début est amoureuse,
puis elle se transforme,

Nous cherchions un roc indestructible, résistant à l’érosion, nous aurions voulu annuler le temps,
et voilà qu’avec le Christ, ce qui est résistant, ce n’est pas ce qui est immuable, mais ce qui s’adapte, qui vit, qui bouge, qui évolue. C’est la Parole.

Devenir des êtres de parole, je crois que c’est cela que nous dit Jésus :
"Tout homme qui met en pratique la Parole… "
est comme un homme prévoyant qui a bâti sur le roc.

Vous connaissez le proverbe :
le rire est le propre de l’homme
je conteste ce proverbe
le propre de l’homme ce n’est pas le rire,
le propre de l’homme c’est la Parole !!

La bible le sait bien, elle qui dit au prologue de l’évangile de Saint Jean :
"Au commencement était le Verbe – la Parole"
et le Verbe était Dieu.
et au livre de la Genèse :
"Homme et Femme il les créa, à l’image de Dieu il les créa."
Je crois que la bible nous dit que la Parole est l’essence de l’humain : nous autres, humains, sommes de nature verbale.

Bâtir sur le roc c’est bâtir sur cette nature qui est la nôtre : la parole.
Et vous, quelle usage faites-vous de la parole ?

Marion, Félix, je vous invite donc à bâtir sur le roc de la parole ajustée, à rechercher entre vous la justesse de la parole.