mardi 7 mai 2013

Ils m’ont appris la fierté

Je viens d’une culture du ricanement. Je sais déceler ces petits défauts chez les autres, ces tares mineures que je monte en épingle pour moquer, pour faire rire, pour briller.


La bible n’est pourtant pas tendre avec «ceux qui ricanent». J’ai ricané tant et plus sur «les américains». Ne sont ils pas ridicules avec ces drapeaux partout ? Certains en on même un à l’entrée de leur maison ! Et leur patriotisme ! Et la main sur le cœur lorsque retentit l’hymne national ! Heureusement, nous avons dépassé ça ! Et les pom-pom girls ! Et leurs cérémonies de remise de diplôme – avec leurs chapeaux ridicules !


Oui mais voilà, je ricane moins. Je suis profondément touché par leur amour de leur pays, de leur peuple, de leur terre. Je suis ému par leur respect de l’hymne national. Je comprends la force qui se dégage de la fierté. L’honneur, le service, ce sont des mots vieillis chez nous. Pire – leur sens est raillé. Ici ces mots ont beaucoup de sens.


Mes parents sont venus pour la cérémonie de remise de diplômes. Ils en sont sortis enthousiastes. «Pourquoi avons-nous perdu ça ? Il y avait une telle joie sur les visages de tous ceux qui étaient diplômés !» Une certaine culture de la fierté. Ça ne se fait pas du tout chez nous. En France, on ne met pas en avant ses diplômes, c’est de mauvais goût, c’est vulgaire. Ici au contraire on est fier de ce que l’on a accompli, et on le manifeste sans complexe. Est-ce de l’enfantillage ? Il me semble que cette fierté épanouit les talents.

Qu’avez-vous à regarder vers le ciel ? Il n'est pas ici.

Durant mes études j’avais été fort impressionné par la théologie d’Irénée de Lyon :
L’incarnation du Christ n’est pas un relèvement de la chute.
Création et incarnation sont un seul et même projet, dès l’origine.

« Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu. »
« La Gloire de Dieu c’est l’homme vivant, et la Gloire de l’Homme c’est de voir Dieu. »

Pas d’autre lieu ni médiation que l’humanité pour chercher Dieu. Un inouï de Dieu. Même les justes ne l’ont pas vu. Il y a là vraiment une révélation.

Voici typiquement ce que je voudrais contester : « Le péché a bloqué le projet divin. L'incarnation vient guérir. » Je voudrais ensuite en tirer les conséquences sur les notions de Rédemption, de Mission, d’Esprit-Saint.



Je dois non m’élever au ciel, mais m’abaisser à la terre.
On n’a pas voulu comprendre la radicalité de l’incarnation, on n’a pas voulu comprendre que Dieu est entré dans la chair, Bérulle nous aide à en percevoir les conséquences : Hommes de Galilée, qu’avez-vous à regarder vers le ciel ? Il n’est pas ici. Il vous précède en Galilée. »

« [Dieu] se fera chair, et la chair est terre en son issue, en sa substance et en son origine […] ce n’est plus le ciel qui régit la terre, mais c’est la terre qui régit le ciel ; et le premier mobile n’est plus ès cieux mais en la terre, depuis que Dieu s’est incarné en terre. […] « Or en ce mystère je dois changer de méthode ; je dois non m’élever au ciel, mais m’abaisser à la terre, car Dieu y est […] Dieu incarné n’est pas au ciel et il est en la terre ; Terre hélas ! qui possède un si grand trésor, et le possède sans le connaître. Puisque Dieu cherche la terre, aime la terre, je veux me convertir maintenant non au ciel, mais à la terre, et y chercher Jésus Christ.»    Pierre de Bérulle



Rédemption, Salut
Si l’incarnation a sa source non dans la chute mais dans le projet de Dieu, alors qu’est ce que la rédemption ? Ce n’est ni un rachat ni une rançon ; ce n’est plus sauver l’Homme du mauvais, c’est un compagnonnage amoureux, une élévation de l’Homme, au dessus du mal et des humaines errances ?

Comment revisiter les mots : sauvé, salut, rédemption, rançon, rachat, chute, péché originel… Dans St Jean, par exemple, « Ta foi t’a sauvé » se dit de celui qui n’est plus aveugle, qui n’est plus boiteux, qui n’est plus malade… Jésus conteste clairement le lien entre maladie et péché : Qui a péché ?!? Ni lui ni ses parents, mais c’est pour que soit manifestée la Gloire de Dieu. » Il semble que pour St Jean, sauvé ça veut dire egeiren : relevé, suscité, éveillé.

Il faudra alors chercher à expliquer d’où vient le mal. Pas de raison de contester le lien entre le mal et la liberté humaine. Mais de même qu’il fallait que le Christ souffrit pour que soit manifestée la plénitude de la vanité de la haine, de même il fallait que le temps de la création de l’Homme-et-Femme précède celui de l’incarnation, afin que soit manifestée la plénitude de la liberté humaine, image et fruit de la perfection de l’amour créateur.



La mission change elle aussi de perspective. La Mission, c’est d’aller dire à tous qu’il n’y a rien à craindre de Dieu. C’est une annonce libératoire … La Mission, c’est aller dire qu’on nous aura menti, que Dieu n’est pas ce que vous croyez, Dieu ne se fait pas juge, et Christ vient révéler ça, on n’est plus dans une théologie de la rétribution. Vous n’avez désormais plus à vivre selon la Loi mais selon la Grâce. N’ayez pas peur. Il n’y a pas de condamnation. « Je ne suis pas venu pour juger, … mais pour que vous ayez la vie en abondance. »

La mission est un envoi, parce que, de même que Dieu crée, se manifeste et se révèle en sortant de lui-même, de même l’humain, qui se révèle dans l’envoi, dans la sortie. Dieu se révèle en envoyant son fils. Et le fils comprend qui il est, en étant envoyé.
Le fait d’être envoyé, c’est ça qui nous révèle ce que nous sommes. L’envoi est une étape de révélation. Et cette révélation manquera si nous ne faisons pas cet effort de sortir vers « ces rencontres qui nous transforment »

Il y a donc un lien fort entre mission et envoi. La Mission ne consiste pas en un témoignage mais en un envoi. Et en effet, le pape François, nous invite à aller aux périphéries de l’existence et de la société. Sortie de soi, aller chez l’autre,



L’Esprit Saint procède lui aussi de l’incarnation. L’Esprit murmure depuis les situations humaines. Il est résidance de Dieu en nous (habitation, demeuration). Cette demeuration fait de l’Homme un temple de Dieu.
L’incarnation est donc à la fois Chair et Esprit.

Or Saint Paul oppose Esprit et Chair (Sarx, contingence, régime de la Loi, pâte humaine). La chair, c’est la condition de l’Homme sans l’Esprit. L’œuvre néfaste de la Chair, c’est la peur.
Pour Paul, vivre selon la « chair » équivaut à se remettre sous la Loi.
Loi et peur ont partie liée. La Loi cause la perte de l’Homme. Car l’ennemi de la Foi, ce n’est pas le doute, mais la peur. L'opposition entre Chair et l'Esprit est liée à l'opposition entre la Loi et la Foi.

C’est l’Esprit qui vivifie en nous la Ressemblance, et nous fait désirer d’agir par amour. Il nous permet de voir la détresse de l’autre, il suscite la compassion. Il nous fait percevoir les appels de Dieu et du Monde. Lorsque nous écoutons les appels de l’Esprit, nous discernons l’attitude juste, les justes combats ; nos décisions sont éclairées.

L’Esprit est un défenseur, un avocat. Au contraire, le diabolo - le diviseur – nous divise entre nous, et nous divise à l’intérieur de nous-mêmes. Nous ne savons plus choisir selon la ressemblance, selon l’unité, mais nous choisissons sur le mode séparé, égoïste, sur le mode de la défense du territoire, comme l'animal. L’accusateur sape la confiance en l’autre et la confiance en soi. Le défenseur au contraire, murmure « ne crains pas, l’accusateur n’a sur toi aucun autre pouvoir que ceux que tu lui cèdes. »