jeudi 19 mars 2015

Ces religieuses qui se négligent

Elles m’ont choqué hier soir ces religieuses qui se négligent. Il y en avait plusieurs, venues pour cette belle pièce de théâtre donnée à l’auditorium de la maison diocésaine.

Le cheveux gras, coupé à la garçonne, elles avaient gommé leur féminité avec d'amples vêtements qui estompent les formes, comme des adolescentes douloureuses, mal à l’aise dans leur corps. Leurs seins ne fleurissent plus comme un hommage à la féminité, invisibles sous le gros pull qui descend jusqu’à mi-cuisse, dissimulant aussi taille et hanches.  Une croix pectorale vient donner le motif de ce massacre : je me néglige pour Jésus. Je me renie pour être exclusivement à lui.  Personne ne les a forcées à cette ab-négation. Elles y sont peu à peu venues comme à un geste d’amour.

 
S’aimer soi-même est un devoir sacré, parce que le Christ nous encourage : « aime ton prochain comme toi-même ».
S’aimer soi-même est la première école du respect, de la bienveillance, de la gratitude : ce merci intérieur qui sait voir le don, le beau, le cadeau, au milieu de nos vies mêlées de grimaces et de sourires. Il faut honorer le don : il faut s'aimer soi-même.


Pourquoi croyons-nous parfois que s’aimer soi-même c’est mal ??
Notre religion nous encourage-t-elle à cette négligence de soi ?
Cette négligence a un côté malsain, comme la consécration d’une psycho-pathologie. C’est plutôt bon signe que les jeunes ne puissent pas s’identifier à des modèles qui ne s’aiment pas.

Combien de fois ai-je imaginé être invité à prêcher pour une communauté de religieuses, et leur disant : Mes sœurs, aimez vos seins ! Soyez femmes et heureuses de l’être. Accueillez généreusement ce qui vous est donné. Faites honneur à la femme que vous êtes, faites honneur au don de Dieu. J’admire certaines congrégations religieuses qui valorisent la féminité. Les xavières, avec simplicité, sont des femmes épanouies.
 
S’aimer soi-même, ça commence par respecter ce que je suis, respecter mon histoire personnelle, qui m’a porté à la vie. C’est respecter les talents que la vie m’a donnés. Le respect n’empêche pas la critique. S’aimer soi-même c’est aussi respecter mes hésitations, mes faiblesses, mes mauvais côtés. C’est s’interdire de murmurer en soi-même des paroles de mépris comme « je suis inintéressant ». François de Salles invitait sans-cesse ses sœurs à êtres emplies de bienveillance et de douceur vis-à-vis d’elles-mêmes.  S’aimer soi-même c’est porter sur soi un regard bienveillant, sans dureté mais sans naïveté.

S’aimer soi-même c’est n’être pas en colère contre mon apparence, contre les traits de mon visage, ou la texture de mes cheveux. C’est s’interdire de murmurer en soi-même des paroles de jugement comme « je suis moche ». C’est discipliner mes humeurs jusqu’à aimer ce corps que je suis. Ce n’est pas le plus beau, ni le plus solide, ni le plus attirant, mais c’est moi, c’est mon corps, et je veux m’aimer comme je suis.

S’aimer soi-même c’est accepter de ne pas être toujours parfait, d’être parfois mauvais, pris en défaut, et même pris en faute ! C’est s’interdire de murmurer en soi-même des paroles de condamnation comme « je suis un salaud ».
Accepter… et pourtant ne pas renoncer au combat, pour progresser, pour ne pas rester dans ces fautes, pour savoir demander pardon, pour savoir humblement reconnaître mes tords.

S’aimer soi-même c’est aimer la joie, aimer les plaisirs, savoir ce que (et qui) l’on aime. Dieu serait-il un rabat-joie ?? Entre recherche vaine et effrénée de plaisirs, et méfiance pour le plaisirs, n’y a-t-il pas la place pour une joie, une louange, un amour de la beauté ?

 
La sobriété semi-dépressive guette parfois ceux qui se sont engagés en religion. Cette sobriété est d’abord un acte militant contre le règne de l’apparence et du paraître, contre la tyrannie matérialiste. Mais elle tourne parfois à l’acédie, vice de forme du Christianisme… A force de viser le détachement, le sel a perdu sa saveur.

Celui qui s'aperçoit qu’il est déprimé doit chercher des solutions pour aller mieux – c’est un devoir sacré ! S’y complaire c’est mal ! Ne pas se soigner, c’est mal.

Mon ami Toïdi, togolais, avait cette expression traditionnelle : Voici une personne qui se respecte. Une personne qui se respecte a un minimum d’exigence intérieure. Elle se fait respecter. Elle fait respecter le don de Dieu qu’elle est elle-même. Elle n’est pas esclave des modes, des jugements. Elle ne se laisse pas enfermer par le regard des autres. Elle a sa liberté. Elle n’est pas comme les autres. Elle est elle-même, fièrement, simplement, et avec gratitude.
Elle ne se néglige pas.

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