lundi 27 mars 2017

Maudites sur trois générations

Un stress social subi par une souris jeune peut retentir sur le comportement de ses descendants. Serait-ce une démonstration, chez la souris, de cette observation récurrente effectuée chez l'homme par les psychiatres et psychologues : un stress subi par un individu jeune, même sans conséquences visibles, peut retentir sur la santé psychique de ses petits-enfants voire de ses arrière-petits-enfants - ou l'art de cuire à petit feu un "non-dit" familial ?


Par Florence Rosier  -  LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 30.08.2012

Des chercheurs de l'université de médecine Tufts à Boston (Etats-Unis) ont soumis des souris jeunes à un stress chronique. Entre l'âge de 4 à 11 semaines (soit l'"adolescence" et le jeune âge adulte de la souris), douze rongeurs mâles et onze femelles ont été exposés à une "instabilité sociale chronique" : la composition des animaux dans les cages était modifiée fréquemment, de sorte que les souris ne parvenaient pas à établir avec leurs congénères de relations normales, fondées sur une hiérarchie sociale.
Deux mois plus tard, les chercheurs ont évalué par différents tests l'anxiété et les comportements sociaux des souris stressées, qu'ils ont comparés à ceux de leurs congénères non stressées. Leurs résultats sont publiés dans Biological Psychiatry du 18 août. Ils montrent d'abord que les effets de cette instabilité sociale subie dans la jeunesse sont persistants.
Les femelles stressées présentent une anxiété accrue et une sociabilité altérée : une forme de "timidité sociale", qui se traduit par une réticence à interagir avec des souris inconnues. Leur niveau de corticostérone, l'hormone du stress, est augmenté. Les mâles aussi sont affectés, avec une moindre anxiété.
L'équipe de recherche a croisé mâles et femelles stressés entre eux, puis testé leurs descendants, âgés de 2 mois, qui n'avaient pas subi de stress social. Résultats : les mâles ne présentent aucun comportement altéré "visible", mais les femelles manifestent une anxiété accrue et des interactions sociales défectueuses - même lorsqu'elles ne sont pas élevées par leurs parents stressés. "Cela peut s'expliquer parce que la femelle stressée transmet quelque chose à sa fille durant la gestation, par exemple via un niveau de corticostérone accru".

MODE DE TRANSMISSION INÉDIT
Les auteurs ont ensuite croisé les souris F1, issues de parents stressés, entre elles ou avec des souris contrôles. Fait remarquable, seules les femelles - pas les mâles - de la génération F2 montrent des signes d'anxiété et de sociabilité altérée. Les plus atteintes proviennent des mâles F1 issus de parents F0 stressés, alors même que ces mâles ne semblent pas atteints.
Poursuivant leurs croisements, les chercheurs ont testé les animaux de la génération F3 : là encore, seules les femelles manifestent une anxiété et des dispositions sociales défectueuses. Elles semblent hériter de ce comportement par leur père, issu d'un grand-parent F0 stressé. "Nous sommes en présence d'un mode de transmission assez inédit et a priori excitant, analyse Deborah Bourc'his. Il s'agit de caractères transmis par le père apparemment normal, mais qui ne s'expriment que chez les filles, c'est-à-dire dans un contexte hormonal particulier."
Quels pourraient être les mécanismes de cette transmission ? "A ce jour, nous ne pouvons le dire", reconnaît Larry Feig, principal auteur. Trois mécanismes sont possibles. Une transmission génétique, c'est-à-dire par des variations de la séquence d'ADN de certains gènes de la lignée germinale mâle. Une transmission épigénétique, fondée sur des modifications chimiques de l'ADN ou des protéines qui l'entourent, survenant lors de la maturation des spermatozoïdes. Ou bien le mâle réinduirait des caractères anormaux à chaque génération par un comportement anormal (non identifié) qui perturberait sa partenaire...
Deborah Bourc'his reste prudente : "Les auteurs ont eu recours à une lignée de souris hétérogènes sur le plan génétique. C'est sans doute un bon modèle pour l'étude des effets de l'instabilité sociale, mais pour les études épigénétiques toujours très complexes à mener, mieux vaut utiliser des lignées génétiquement homogènes."
Florence Rosier