Y a-t- il dans la culture et le langage US, des mots fréquemment utilisés dans la conversation courante ? Non pas les parasites verbaux tel que « j’veux dire / c’est clair / si tu veux. » Mais plutôt les mots qui révèlent un trait culturel, un sujet majeur, une fascination. Bien sûr il y aurait le mot « dollar » car ici comme ailleurs, la vénalité est en pleine santé. Les difficultés financières aussi. Mais il y en a un autre que j’ai trouvé omniprésent : power.
Power… prononcer pa-ou-eur. Le mot a un éventail de signification immense. La nuance s’y perd. Le terme se décline de multiples façons.
Power, c’est la puissance, la capacité, l’influence. Par exemple : « Tu devrais demander l’aide de Untel pour ton projet, car il a beaucoup de power. »
Powerful signifie puissant mais littéralement s’écrit empli de puissance.
Powerless, c’est le pire qui puisse vous arriver – je ne le souhaite à personne. Avec son suffixe privatif -less, powerless, c’est moins que rien.
Powered – le participe du pouvoir. Ca veut dire que la bénédiction du power est sur vous. Rendu puissant, investi de puissance, gonflé à bloc, empli d’une belle assurance. On peut renforcer l’effet en disant empowered. Le préfixe latin em- a le même usage qu’en français : dedans. Ca y est, la puissance est dedans. Vous êtes tirés d’affaire.
Powerboat – bateau puissant ? Oui, hors-bord. Dans ma famille on dit «Promène-couillons».
Power , c’est aussi l’électricité. Ici on ne dit pas « je n’ai plus de courant » ou « on m’a coupé l’électricité » – mais on dira power.
Le monde religieux lui aussi fait grand usage de power. Jésus a le power de te sauver, et l’Esprit Saint nous donne le power d’aimer et de servir. La communauté chrétienne empowers ceux qui traversent l’épreuve. Chaque matin, lors de l’office de prière, je rencontre le power attribué à Dieu : « Que Dieu nous vienne en aide et manifeste son power. »
Cette insistance sur la puissance de Dieu est pour moi une surprise. Je désapprouve. Je ne crois pas à la puissance de Dieu. Enfin pas comme ça. Je crois à la force de la vie, à la capacité transformante de la fraternité, à la résurrection de ce qui semblait sans issue. Mais ce n’est pas du power. Le power a des airs de gros muscle qui se déploie pour ceux qui sont gentils avec lui et agissent selon ses ordres.
Il y a là une différence culturelle, une sensibilité religieuse vraiment différente. Il y a aussi des conséquences, car prêter à Dieu un immense power, ou le nommer almighty - c'est-à-dire « qui pourrait tout » - amène aussitôt la difficile question d’un Dieu qui n’empêche pas le malheur.
Le philosophe juif Hans Jonas suggère qu’il n’y a pas de Dieu tout puissant. Dans son merveilleux petit livre « Le concept de Dieu après Auschwitz », il développe l’incompatibilité des trois propositions suivantes : Dieu est bon – Dieu est tout puissant – Il y a eu Auschwitz.
Le power, c’est finalement encore un superlatif. C’est ultimement une puérilité d’humains qui refusent la responsabilité de leurs choix et actes, ou qui refusent d’accepter leur finitude.
Dieu n’est pas le supplétif de notre complexe d’êtres limités.
Le power est l’objet d’une fascination. Cette fascination se nourrit de craintes, peurs, angoisses, menaces. Dans son film Bowling for Columbine, Michael Moore a bien décrit ce trait culturel US qui consiste à jouir de la peur : films qui font peur, fête d’Halloween, évocations incessantes des risques domestiques, des menaces extérieures, des délinquants ; et pour résultat, la recherche de puissance protectrices. Rouler dans une grosse voiture c’est se protéger en cas de choc. Cultiver l’hommage aux soldats, c’est encore se protéger. Car le danger est toujours possible. Il faut s’en prémunir.
Le grand ennemi de la foi (fides en latin signifie à la fois confiance et fidélité) ce n’est pas le doute, mais la peur. La peur sécrète la mort. La peur enserre de son poing meurtrier les joies, les insouciances, les confiances.
Le power, c’est le terrain préféré où s’épanouit la peur.
Le power, c’est le lit de la mort.
mercredi 15 juillet 2009
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