Un stress social subi par une souris jeune peut retentir sur le comportement de ses descendants. Serait-ce une démonstration, chez la souris, de cette observation récurrente effectuée chez l'homme par les psychiatres et psychologues : un stress subi par un individu jeune, même sans conséquences visibles, peut retentir sur la santé psychique de ses petits-enfants voire de ses arrière-petits-enfants - ou l'art de cuire à petit feu un "non-dit" familial ?
Par Florence Rosier - LE
MONDE SCIENCE ET TECHNO | 30.08.2012
Des
chercheurs de l'université de médecine
Tufts à Boston (Etats-Unis) ont soumis des souris jeunes à un stress chronique.
Entre l'âge de 4 à 11 semaines (soit l'"adolescence" et le jeune âge
adulte de la souris), douze rongeurs mâles et onze femelles ont été exposés à
une "instabilité sociale chronique" : la composition des animaux dans
les cages était modifiée fréquemment, de sorte que les souris ne parvenaient
pas à établir avec leurs congénères de relations normales, fondées sur une
hiérarchie sociale.
Deux
mois plus tard, les chercheurs ont évalué par différents tests l'anxiété et les
comportements sociaux des souris stressées, qu'ils ont comparés à ceux de leurs
congénères non stressées. Leurs résultats sont publiés dans Biological Psychiatry du
18 août. Ils montrent d'abord que les effets de cette instabilité sociale subie
dans la jeunesse sont persistants.
Les
femelles stressées présentent une anxiété accrue et une sociabilité altérée :
une forme de "timidité sociale", qui se traduit par une réticence à interagir
avec des souris inconnues. Leur niveau de corticostérone, l'hormone du stress,
est augmenté. Les mâles aussi sont affectés, avec une moindre anxiété.
L'équipe
de recherche a croisé mâles et femelles stressés entre eux, puis testé leurs
descendants, âgés de 2 mois, qui n'avaient pas subi de stress social. Résultats
: les mâles ne présentent aucun comportement altéré "visible", mais
les femelles manifestent une anxiété accrue et des interactions sociales
défectueuses - même lorsqu'elles ne sont pas élevées par leurs parents
stressés. "Cela
peut s'expliquer parce que la femelle stressée transmet quelque chose à sa
fille durant la gestation, par exemple via un niveau de corticostérone
accru".
MODE
DE TRANSMISSION INÉDIT
Les
auteurs ont ensuite croisé les souris F1, issues de parents stressés, entre
elles ou avec des souris contrôles. Fait remarquable, seules les femelles - pas
les mâles - de la génération F2 montrent des signes d'anxiété et de sociabilité
altérée. Les plus atteintes proviennent des mâles F1 issus de parents F0
stressés, alors même que ces mâles ne semblent pas atteints.
Poursuivant
leurs croisements, les chercheurs ont testé les animaux de la génération F3 :
là encore, seules les femelles manifestent une anxiété et des dispositions
sociales défectueuses. Elles semblent hériter de ce comportement par leur père,
issu d'un grand-parent F0 stressé. "Nous
sommes en présence d'un mode de transmission assez inédit et a priori excitant,
analyse Deborah Bourc'his. Il
s'agit de caractères transmis par le père apparemment normal, mais qui ne
s'expriment que chez les filles, c'est-à-dire dans un contexte hormonal
particulier."
Quels
pourraient être les mécanismes de cette transmission ? "A ce jour, nous ne
pouvons le dire", reconnaît Larry Feig, principal auteur.
Trois mécanismes sont possibles. Une transmission génétique, c'est-à-dire par
des variations de la séquence d'ADN de certains gènes de la lignée germinale
mâle. Une transmission épigénétique, fondée sur des modifications chimiques de
l'ADN ou des protéines qui l'entourent, survenant lors de la maturation des
spermatozoïdes. Ou bien le mâle réinduirait des caractères anormaux à chaque
génération par un comportement anormal (non identifié) qui perturberait sa
partenaire...
Deborah
Bourc'his reste prudente
: "Les auteurs ont eu recours à une lignée de souris hétérogènes sur le
plan génétique. C'est sans doute un bon modèle pour l'étude des effets de
l'instabilité sociale, mais pour les études épigénétiques toujours très
complexes à mener, mieux vaut utiliser des lignées génétiquement
homogènes."
Florence Rosier