vendredi 12 octobre 2012

Faut-il une loi pour l'euthanasie ?



Fins de vie :
Vivre ou mourir ?
Regards juridiques, éthiques et anthropologiques[1]



Organisé par l’Adès, Unité Mixe de Recherche UMR 7268 (Aix - Marseille Université) Anthropologie Bio culturelle, Droit, Ethique, et Santé, s’est tenu, à la faculté de Médecine de Marseille, les 4 et 5 octobre 2012 ce colloque qui a réuni 600 participants, en présence de Mr Didier Sicard. La richesse de ce colloque est d’avoir croisé les regards de juristes, philosophes, scientifiques, médecins, professionnels de santé, en particulier engagés dans les soins palliatifs et les Ehpad.

Si je devais résumer en deux lignes, j’écrirais qu’un consensus semble s’être dégagé pour affirmer que la loi 2005 dite « Léonetti » est suffisante. Et même si elle ne résout pas certaines situations extrêmes, il ne faut pas légiférer sur les situations exceptionnelles.

Ce résumé en deux lignes est insuffisant. C’est pourquoi je tente ci-après de rendre compte de la richesse des échanges. Mes notes étant incomplètes, et certaines interventions prêtant plus que d’autres à la prise de note, toutes ne sont pas retranscrites.
Des commentaires personnels sont insérés en bas de page.



Vieillir - esquisse anthropologique
D. Le Breton - anthropologue – Strasbourg.

La vieillesse est un sentiment, non un état civil.
Il y a une normalité à l’œuvre : être jeune, au travail, performant, efficace, séduisant, et à l’inverse, on trouve, haïssables la précarité, le handicap, la vulnérabilité.
La perception de l’âge est sociétale. L’image du corps est essentiellement imaginaire : « Vieillard est le nom que d’autres me donnent. »
La vieillesse est une mesure du goût de vivre.  Elle est souvent vécue comme un enlaidissement, une déchéance.
La vieillesse est un sentiment, une mise à mal progressive de l’idéal du moi. « J’ai accepté mon corps comme un hôte malencontreux. » Ce coup de vieux peut être provoqué par un deuil, le mariage d’un petit-enfant, la retraite, la maladie

Les orientaux considèrent le grand âge non du point de vue de la proximité de la mort et de la déchéance, mais comme expérience et fierté d’être là. Le poète vietnamien célèbre la joie de voir encore un printemps.  Ronsard au contraire ne voit plus que son corps en déchéance.

Chacun de nous a de soi un visage de référence – celui d’une plénitude de vie. La vieillesse se vit comme la perte du visage de référence. [2]
Vieillir c’est se retirer peu à peu de son visage. L’Autre perce sous les traits du visage, une forme lente de défiguration.  Beauvoir : « Je suis devenue une autre tout en restant moi-même. »
Les signes en sont : le renoncement à la toilette, aux vêtements, à l’image de soi.
Le travail du soignant consiste à reconnecter le lien sociétal. Son attitude chaleureuse opère une restauration du sens : coiffure, vêtements, visage, sorties... il faut permettre un narcissisme élémentaire.
Nombreuses personnes meurent dans les premières semaines de leur entrée en institution, vécue comme une dépossession de leur propre vie.



F. Félix, philosophe, Lausanne.
Pour les humains, la mort est toujours présente comme une possibilité, à tout instant. En cela, ils sont des êtres soumis au temps. Les religions, en promettant la vie après la mort, tentent de réduire cette soumission à la mort et au temps.
Celui qui s’approche de la mort perd cette temporalité : il n’y a plus de sursis. C’est l’équipe médicale qui apporte une libération, un sursis, par la rémission ou la guérison. C’est, pour le patient, un moment de jubilation.
Car la souffrance n’est pas la douleur. La souffrance est amoindrissement de la capacité à s’envisager. Le souffrant est rivé à l’instant. Rupture du fil narratif : l’imminence de la mort empêche le patient de se raconter. Voilà la différence entre le soin qui guérit, et le soin qui apaise et soulage.



Les ouvertures de la loi de 2005
D. Giocanti – juriste – Marseille.

La loi de 2005, ce qu’elle ouvre et permet.
Cette loi concerne le moment du passage de la vie à la mort. Elle fut inspirée par la mort de Vincent Imbert et de Chantal Sébire.
- la loi de 2005 est suffisante pour répondre à ces questions
- les réponses qu’elle permet sont toujours au cas par cas – et mettent les médecins dans des situations de doute : onéreux mais nécessaire. [3]
Voulons-nous une loi humaine… ou une loi parfaite ?

La loi consacre le caractère acceptable des médicaments à double effet : l’effet antalgique est le but premier.[4]  Ils apaisent, soulagent, mais aussi ils hâtent la mort, abrègent la vie. 
L’application de cette loi est limitée à la fin de vie. Mais alors, qui est concerné par cette définition de « fin de vie » ? (phase avancée d’une maladie grave et incurable). Est-ce que cela commence avec l’arrêt des traitements ?




Jean Léonetti – rapporteur de la loi de 2005 relative au droit des malades et à la fin de vie.

Quels sont les fondements de la loi ? Vous le savez, car la loi n’est qu’une copie du code de déontologie.
Le patient demande la vérité. « Est-ce que je vais souffrir » demande-t-il ? Il a peur d’être mal accompagné, de mal mourir. Peur de la solitude dernière, et de la perte du sens de la vie. [5]  Le soignant devra alors lui dire : « je vais t’aider à donner sens à ta vie. »

Contrairement à ce que l’on croit, l’éthique ce n’est pas la lutte du bien contre le mal, l’éthique c’est le bien contre le bien ! C’est un conflit de valeurs bonnes.
La médecine triomphante a tendance à délaisser les patients pour lesquels il n’y a plus de perspective de guérison.  Comment sortir de l’abandon ? Comment sortir de la souffrance ?  Par le dialogue, la transparence.
Ulysse s’empêche de céder aux sirènes. Mais il refuse de se boucher les oreilles, parce qu’il veut rester lucide. Et lorsque sa compagne lui propose l’immortalité, il la quitte, car (dit Camus) c’est la fierté de l’humain que d’être mortel. Fierté qui tient à la vulnérabilité humaine.
Il y a une éthique de la vulnérabilité : parce que cette personne est vulnérable, je la protège autant que faire se peut. Et ce faisant, je protège aussi la dignité humaine, au delà du choix singulier du patient.





L’avis n°63 du CCNE sur la fin de vie
Pierre Le Coz, philosophe, Marseille.

Merci à Didier Sicard qui nous alertés sur la frime-éthique. L’éthique doit descendre de son cheval : elle doit s’exercer dans l’interaction, le dialogue avec la salle : interrompez-nous, réagissez !

Lorsque fut publié l’Avis n°63, on ne maîtrisait pas la douleur comme on sait le faire aujourd’hui.
Je voudrais revenir sur quatre points :
1 – vivre et mourir aujourd’hui
2 – mieux mourir aujourd’hui
3 – situations aux limites : l’euthanasie en débat
4 – engagement solidaire et exception d’euthanasie.

1 – Pourquoi demande-t-on l’euthanasie ?
Abandon, angoisse, mais aussi le progrès des techniques, qui fait qu’on ne meurt plus de vieillesse, mais d’une pathologie que la médecine n’a pas plu enrayer : c’est la médicalisation de la mort.  Elle opère une désappropriation du patient.

2 – L’Avis n°63 invente l’obstination déraisonnable, et préfigure la règle du double-effet. [6]

3 – Aux limites : les douleurs réfractaires. Plusieurs positions s’affrontent :

A – Certains disent que la vie est sacrée, elle est un don qui ne peut être laissé à la disposition de l’Homme.
D’autres considèrent que l’interdit de l’euthanasie protège les patients
D’autres considèrent que la médecine ne peut prendre ce rôle
D’autres considèrent que l’on découragerait les efforts en direction du cure

B – Certain plaident en faveur d’une dépénalisation bien encadrée
D’autres considèrent que l’on doit pouvoir être acteur de sa mort comme de sa vie
D’autres considèrent que le statut de la dignité humaine diffère ici de celle implicite dans les positions A, car il appartient à chacun d’estimer la dignité qui est la sienne
D’autres s’insurge que le suicide n’est pas condamnable, mais l’euthanasie oui
D’autres remarquent que l’euthanasie existe déjà ! et qu’il s’agit de l’entériner.

4 – comment éviter d’en rester à une alternative ou A ou B ? comment se tourner vers une troisième voie ?

Il y a des situations hors norme qui appelle la compassion respectueuse.  Ce que le droit ne peut codifier peut trouver une issue humaine et compassionnelle.  Ne peut-on pas accepter que dans certaines situations limites, l’Homme est au dessus de la règle ? [7]




L’assistance au suicide en Suisse
Bernard Baertschi, philosophe, Genève.

En Suisse, le suicide est une liberté, non un droit.
Il y a des parentés entre suicide et euthanasie.

Socrate disait que, de même que l’esclave appartient à son maître et ne peut décider de sa mort, de même nous ne pouvons pas décider de nous suicider
L’argument communautaire d’Aquinus : on ne peut s’appartenir, on est membre d’une société.
Pour Rousseau, le suicide est un vol fait au genre humain, car nous sommes utiles au monde et nous avons des devoirs.
Sénèque (stoïcien) estime que si la vie est un fardeau, on peut vouloir mourir.
Hume : personne ne peut contester notre jugement de la qualité de notre vie.
Locke : c’est l’autonomie qui autorise le suicide. [8]




L’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation en réanimation.
S. Beloucif, anesthésiste-réanimateur, Bobigny.

Tout d’abord une question : l’hydratation, est-ce un traitement ou un soin ?
En France, 500 000 personnes meurent chaque année, dont la moitié à l’hôpital. Et à l’hôpital, la moitié meurent en réa. Les réanimateurs voient chaque année entre 60 et 80 décès. C’est beaucoup. Pour certains soignants, c’est insupportable !

Une confusion demeure dans les esprits : si la loi 2005 préconise, contre l’obstination déraisonnable, l’arrêt des traitements, ça n’a rien à voir avec l’arrêt des soins : les soins ne cessent jamais, jusqu’au bout.

La loi 2005 prévoit pour cette décision une procédure collégiale. Elle est essentielle. Elle prend en compte cinq consultations : les recommandations du patient, l’avis de la famille, l’avis de la personne de confiance, l’avis de l’équipe médicale, et si nécessaire, un autre avis médical (extérieur à l’équipe). Alors seulement, et compte tenu de ces consultations, le médecin prend une décision dont il porte la responsabilité.
Il est tenu de respecter cette procédure consultative. [9]
Dans certains cas extrêmes, pour abréger des souffrances inutiles et insupportables, il peut être nécessaire de transgresser.  Mais la transgression n’est pas désobéissance : elle cherche un bien, au-delà de la règle. [10]




Table ronde.  Fins de vie : Perceptions sociales et croyances.

Pour l’Islâm (Sadek Beloucif), la vie est sacrée. C’est la science qui détermine le choix médical. L’autonomie est seconde. Sont premier : justice, solidarité. La maladie n’est pas une punition ! Les antalgiques sont acceptables : c’est l’intentionnalité qui prime les effets indésirables.

Pour le protestantisme (L. Schweitzer), ce qui dérange dans l’euthanasie, c’est la prétention à maîtriser sa mort, plutôt que de l’accueillir, la recevoir.
La médecine donne l’illusion que la mort ne peut pas venir n’importe quand… on sait quand elle vient.
Si la société acceptait l’euthanasie, elle validerait implicitement la non-dignité de certaines vies, c'est-à-dire que certaines vies ne valent plus d’être vécues
Enfin la dépénalisation de l’euthanasie est une tentation issue de la pression économique, et ce motif n’est pas valide pour légiférer.

Pour le catholicisme (Xavier Lacroix), c’est à la frontière que se posent les questions en rapport à l’arrêt des traitements disproportionnés.
L’euthanasie dite passive est une expression inappropriée. Je suis opposé au suicide assisté.
Il nous faut prêter attention aux situations limites. Mais ça n’est pas une raison pour modifier la loi. Voici pourquoi j’y suis opposé :
- le consentement est difficilement éclairé, et surtout pour une personne vulnérable
- il est des cas où l’état doit protéger la personne contre elle-même, prenons l’exemple de la castration : elle est interdite même à la demande de l’intéressé. Le motif supérieur est alors la dignité de l’Homme.
- reconnaître dans une nouvelle loi qu’il y a des situations exceptionnelles, ça entraînera nombreuses personnes à se sentir de trop, et priées d’en finir.




Point de vue sur les législations belge et suisse
Mme C. Hury, présidente de l’association Ultime Liberté, Paris.

J’ai connu la souffrance dans ma famille, dans ma propre vie. J’ai rencontré une femme qui a été aidée à mourir chez elle, seule, avec un produit.
Aujourd’hui je partage mon énergie pour les gens qui partagent cette philosophie de la vie, je porte la parole de souffrants.

Comment vivre sa fin de vie ? Pourquoi aller à l’étranger pour ça ?
La France, par la loi 1987, poursuit l’incitation au suicide, et poursuit ceux qui sont présents lors de ce suicide, au motif de non-assistance à personne en danger. Il y a en effet des dénonciations, des condamnations. Et même si les magistrats sont cléments, c’est un traumatisme pour ceux qui sont poursuivis.
Il y a besoin d’une loi !  Nos sociétés occidentales ont beaucoup évolué.
Déjà, plusieurs pays ont aménagé la loi en matière de suicide assisté.

A qui appartient mon corps ? [11]   Qui décide pour une personne française qui souhaite maîtriser sa mort ? Dieu ? la famille ? la société ?  Mais si cette personne estime que sa qualité de vie est définitivement altérée !  L’agonie est inacceptable. Il faut en sortir.  L’absence de loi accule les gens : ainsi, la France se place au deuxième rang mondial, derrière le Japon, pour le suicide des personnes âgées.

La Belgique a légiféré pour mettre fin aux euthanasies clandestines. Le dispositif d’accompagnement palliatif est ouvert aux étrangers. Les euthanasies sont, à 80% réalisées dans la région flamande, selon la méthode de l’injection de penthotal. La raison, c’est qu’en Wallonie, on pratique plus de sédations létales, qui ne sont donc pas comptées comme euthanasie.

En Suisse, la loi impose que la personne demandeuse s’administre elle-même le produit létal, c'est-à-dire le boive. De nombreux allemands font appel aux associations (il y a Dignitas, Ex-international, et Live Circle). Le suicide assisté est possible dans un hôpital, mais ce ne sont jamais les soignants qui assistent le demandeur, ce sont uniquement les bénévoles des associations accréditées.

Ce qui est intéressant, c’est que : une fois que la demande d’euthanasie est acceptée par les autorités fédérales suisses, dans 75% des cas, le demandeur ne donne pas suite. En fait, lorsque les personnes ont pu vérifier que cette possibilité d’euthanasie existe, leur angoisse s’apaise, et la demande disparaît.



Euthanasie et droit pénal
D. Viriot-Barrial, juriste, Aix-en-Provence.

Précisons d’emblée qu’en droit pénal, la notion du mobile (d’un acte) n’est pas considérée.
Quelles sont les possibilités de gérer le risque pénal, qui existe puisque la loi ne prend pas en compte l’intention du patient ? Le risque pénal, donc, est lié à l’omission de porter assistance à personne en danger.

Des solutions existent déjà pour la dépénalisation.
1 - le dessaisissement. Il est utilisé dans le cas Imbert, puisque le motif a été modifié : on est passé de l’empoisonnement à l’administration de substance nocive.
2 – la correctionnalisation. Elle consiste en la requalification de l’acte d’accusation, qui n’est plus alors un crime mais un délit.  La difficulté ici, c’est que cette requalification est à la discrétion du magistrat instructeur.
3 – l’exception d’euthanasie. Car en effet déjà existe l’exclusion de responsabilité pénale, dans des cas précis : la légitime défense, l’âge d’un prévenu mineur, l’état d’incapacité mentale.  Mais il reste à faire entrer dans la loi cette exception d’euthanasie.


L’éthique de vie des Témoins de Jéhovah
E. Nowak, Marseille.

Les Témoins de Jéhovah sont présents en France depuis la fin du XIXème siècle. Ils sont 270 000 en France, et 2 millions en Europe.
Les Témoins de Jéhovah aiment la vie, ils la protègent, sont favorables à la médecine moderne, à la recherche médicale, se font vacciner, sont opposés aux toxicomanies, en particulier l’alcoolisme et le tabagisme, sont opposés à l’IVG. La contraception est un libre choix.
Pour les Témoins de Jéhovah le sang est sacré, comme le prescrit le texte biblique. Il n’appartient pas à l’Homme de le verser. C’est pourquoi les Témoins de Jéhovah ne prennent pas part à la guerre.
La bible prescrit de ne pas manger le sang. La transfusion sanguine entre dans ce champ de la non-consommation. C’est un point central de la doctrine chrétienne. Une valeur suprême. [12] L’épargne sanguine en vue d’autotransfusion n’est pas acceptée par les Témoins de Jéhovah.

Le refus de traitement n’est ni refus de soins, ni désir de mort !
La communauté européenne reconnaît le droit au refus de transfusion.
Le Code de Santé Publique stipule la nécessité du consentement au traitement
Aujourd’hui, en France, on ne procède pas à la transfusion sanguine pour un patient qui a clairement déclaré son opposition. [13]



De la loi Léonetti à la décision médicale
Sophie Hamon, Unité Mobile de Soins Palliatifs, Marseille-Nord.

Du curatif au palliatif, on passe peu à peu par différentes étapes. Les moments de choix difficiles se situent à la charnière des étapes, lorsqu’on passe du palliatif actif au palliatif symptomatique.
Le curatif a pour objectif la quantité de vie, la guérison, la rémission longue, alors que le palliatif a pour objectif la qualité de vie, avec la perspective d’une mort prochaine.

Dans un contexte palliatif, ce qui est supérieur au maintien de la vie, c’est la qualité de la vie, qui se mesure en fonction de deux critères, la douleur et la dignité.

Attention, une loi sur l’euthanasie trouvera des dérives nombreuses et rapidement. Il n’est que de constater la pression économique que constituent un million de personnes âgées pensionnaires en Ehpad. C’est peut-être pour ça qu’on envisage une loi sur l’euthanasie ? [14]


Antoine Carlioz [15]




[2] « Elle a dû être très belle. » Cette expression détestable (que j’ai souvent entendue dans ma famille) est symptomatique de ce visage de référence inscrit au passé de l’autre.
[3] Plusieurs fois au cours de ce colloque, reviendra cet attachement au doute nécessaire, sans lequel la décision médicale risque une dérive dangereuse. R. Aubry dira : pour apprendre aux étudiants en médecine à réfléchir, il faut leur apprendre à douter.
[4] Lors du débat avec la salle, une intervention récusera cette expression de double effet pour lui préférer la notion d’effet indésirable… indésirable mais assumé !
[5] Un sondage récent montre qu’une grande majorité de français est favorable à une loi dépénalisant l’euthanasie ; il y a, autour de la mort, tant d’angoisses d’abandon et de souffrance. C’est aussi parce qu’il y a une méconnaissance des possibilités et de la qualité, aujourd’hui, de la sédation de la douleur, et une méconnaissance de la qualité de prise en charge palliative.
[6] Pour François Vialla, juriste (Montpellier), le droit, c’est un cadre d’organisation, un outil. C’est l’expression de la volonté du peuple. Lacordaire dira même : « C’est la liberté qui opprime – c’est la loi qui libère ! »  La dignité n’est pas un état mais une relation sociale.  S’il existe une obstination déraisonnable, n’est-ce pas qu’elle peut être raisonnable ?
[7]  On retrouvera plus loin cette option pour une transgression compassionnelle.
[8]  Avec David Hume et John Locke, s’exprime la conception anglo-saxonne de droit individuel aux préférences personnelles. Au nom de ces libertés individuelles, John Stuart Mill estime que l’Etat n’a pas le droit de prétendre protéger l’individu contre lui-même. Dans la philosophie politique anglaise, la propriété du corps est un droit naturel fondamental. C’est le contraire dans notre culture latine continentale. Le citoyen français n’est pas propriétaire de son corps, il en serait plutôt usufruitier. La culture latine a sans doute voulu éviter la représentation d’un sujet de droit conçu comme propriétaire de son corps, et qui pourrait, dès lors, comme tout propriétaire, se vendre, se louer.
[9] N. Franchitto, médecin à Toulouse, décrit que dans les situations de grande urgence, on travaille sans consentement. Et dans les services de réanimation, parce que la loi 2005 envisage trop peu les situations d’urgence, on procède souvent à des « réanimations d’attente », pour se donner le temps d’approfondir le diagnostic.
[10] Après Pierre Le Coz, Sadek Beloucif est le deuxième à évoquer, contre une autre loi, la possibilité compassionnelle de transgression.
[11] Poser ainsi la question, c’est déjà reconnaître que le corps est une chose. La loi française s’oppose à la réification du corps. Mais le débat reste ouvert, et réitère ici une revendication des années soixante-dix. Pour moi, on ne peut pas dire j’ai un corps, mais plutôt je suis mon corps. Dans la culture anglo-saxonne, cette question de Mme Hury passera mieux.
[12] Je pense que cette interprétation est erronée, car ce qui est fondamental dans le texte biblique, c’est le non-jugement, le choix de la confiance, la liberté à l’égard des biens, le renoncement à l’hypocrisie, c’est la justice, l’accueil de l’immigré, le choix préférentiel pour ceux auxquels s’identifie le Christ (les exclus de toutes sortes, vulnérables, abandonnés, sans droits, malades, prisonniers), l’amour de l’autre et de la vie comme un don de Dieu, une bénédiction. Et donc il y a des choses beaucoup plus importantes que l’interdit de la consommation du sang. Voir une valeur suprême dans ce détail éloigné de l’esprit de l’Evangile est un choix malheureux. Par contre, c’est une particularité qui permet de souder l’identité communautaire des Témoins de Jéhovah.
[13] La loi 2005 protège le médecin qui respecte un refus de traitement. Mais s’il passe outre, peut-il être condamné pour préjudice moral ?
[14] Le jour où on légifère sur l’euthanasie, comment empêcher la pression morale contre ceux qui souffrent du sentiment de coûter cher, d’être devenus inutiles ? et comment stimuler encore la qualité de la prise en charge des personnes en grande dépendance. Comment ne pas se méfier des effets délétères et mortifères de la banalisation progressive de l’euthanasie chez les personnes âgées, aubaine pour les caisses de retraites et les collectivités publiques, soulagement pour les familles qui vivent très difficilement la dépendance de leurs parents.
[15] Antoine Carlioz est docteur en Biologie Moléculaire et Génétique (Université Paris XI – Orsay), titulaire d’un Master de Théologie et Philosophie (Université Catholique de Paris et Duke University, USA) et d’un Master 2 en Ethique Médicale (Aix-Marseille Université). Il est « prêtre au travail », Ingénieur de Recherche du laboratoire d’Oncologie Biologique des Hôpitaux de Marseille. Il émarge à l’UMR 7268 au titre de sa collaboration avec l’espace Ethique Méditerranéen.

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