lundi 1 août 2011

Le concept d’autonomie du patient n’est pas prépondérant hors Occident.

« Le concept même d’une approche éthique, unique, uniforme, universellement applicable, ignore et méprise les variantes interculturelles de la notion de bien et de mal. » Mahmut Alpertunga Kara




En occident, le concept d’autonomie garantit le respect des choix libres et rationnels du patient, qu’il fonde sur ses valeurs et préférences individuelles. L’autonomie, en ce sens, est basée sur l’identité, sur la nature particulière et le caractère du soi. Les actions sont alors libres, dans la limite où elles sont cohérentes avec l’identité du soi.

La tentative de promouvoir l’autonomie d’un/e patient/e peut avoir des conséquences inattendues, lorsqu’elle se confronte à une conception non-occidentale. Ainsi, le fait de demander son avis à un/e patient/e peut être perçu non comme un effort de respect, mais comme un aveu d’incompétence, de faiblesse, ou d’hésitation quant au traitement approprié. C’est le cas lorsqu’un/e patient/e a une conception du rôle du médecin comme autorité investie d’un savoir.


Plus encore, le fait de requérir l’avis d’un/e patient/e peut être perçu comme un geste déplacé. Dans de nombreuses cultures, l’on considère que puisqu’il est malade, le/la patient/e devrait être exonéré/e d’avoir, en plus, à porter la responsabilité des décisions médicales. Demander son consentement est alors perçu comme une violation de sa tranquillité, source d’inquiétude et ruine de l’attitude positive nécessaire à la guérison.

Dans les cultures asiatiques, par exemple l’interdépendance à la famille et à la communauté nourrit une adhésion forte au sens moral commun, et relègue la notion d’autodétermination. De nombreuses personnes confient à leur entourage familial le droit d’accès et de diffusion des informations médicales les concernant, et même de prendre les décisions et d’en organiser la mise en œuvre.


Ce modèle, dans lequel la religion et la famille jouent un rôle principal pour les questions touchant à la maladie, particulièrement en phase terminale, est partagé par de nombreuses cultures orientales, mais contraste significativement avec la situation répandue dans beaucoup de pays occidentaux.

Dans les sociétés occidentales laïques, l'autonomie du patient est généralement considérée comme la pierre angulaire du code de déontologie concernant les choix touchant aux soins médicaux et la fin de vie. On considère le patient compétent comme un agent autonome et raisonnable, souverain quant à son destin et quant à toute décision thérapeutique. Ce concept est critiquable. Il n’est pas opérant au Pakistan, comme le décrit ce médecin pakistanais, revenant dans son pays après avoir été formé aux USA :


Ayant été formé comme médecin aux États-Unis et après y avoir travaillé pendant plusieurs années, j'ai accepté un poste universitaire dans une université médicale au Pakistan. Une de mes premières expériences fut d’avoir à annoncer à deux frères que leur père avait un cancer métastatique généralisé et n’en avait plus pour longtemps à vivre. Le patient, qui vivait dans la famille de son fils aîné, n'était pas présent. Après avoir écouté attentivement, et manifestement bouleversé, un des fils dit : "Nous ne voulons pas qu'il sache qu'il a le cancer. Le temps qu’il lui reste à vivre appartient à Dieu, et il ne serait pas juste de lui faire perdre espoir." Il a alors ajouté : " Docteur Sahib, dites-nous ce que nous devons faire. C’est vous qui savez le mieux. Vous n'êtes pas seulement notre docteur, vous êtes comme notre mère."

On trouve dans ces mots, explique l’auteur, l’archétype de la prise de décision, au Pakistan, quand la maladie frappe une famille. C'est la famille, plutôt que le/la patient/e, qui se trouve au cœur de ce processus. La famille et le médecin protègent le/la patient/e de l'anxiété et de la détresse associée à la conscience de l’approche de la mort. Ceci se manifeste par la non-divulgation du diagnostic ou par sa divulgation en des termes ambigus. "Docteur Sahib" (le mot Sahib a une racine arabe signifiant le seigneur) reste le référent en matière de maladie et de décision médicale. Elle ou il est souvent symboliquement investi par la famille de l’autorité non seulement de faciliter, mais de diriger la gestion de la situation médicale. Ultimement, cependant, c’est Dieu, et non l'homme, qui contrôle la vie et la mort.


En Afrique sub-saharienne, en place d’une primauté de l’autonomie de la personne, l’on observe une primauté de la communauté sur l’individu, et un attachement des populations à leurs coutumes et traditions, comme le montrent Lolonga et Hirsch


« L’éthique animiste est une éthique régie par l’impératif de survie du groupe, et à ce titre, elle subordonne l’individu au groupe. Le moi individuel et moral est presque inexistant, anéanti par le moi social. » Dans un tel contexte, la préférence du patient ne peut prévaloir sur la coutume ; une coutume étant une chose établie depuis des générations, sur laquelle on ne revient pas et qui ne tolère aucune discussion ni contradiction. Le philosophe Lazare Poame ajoute : « en Afrique, le processus de consentement engage bien plus que le/la patient/e comme individu : la famille s’y trouve nécessairement impliquée. […] Dans une communauté où les individus n’ont aucun secret important pour leurs parents et leurs proches, sous peine d’être soupçonnés de sorcellerie, l’idée de confidentialité, par exemple, sur laquelle insistent tellement l’éthique biomédicale occidentale et les textes réglementaires internationaux, est pratiquement inopérante sous sa forme occidentale.


Et elle risque de le rester, tant est perçu comme repoussoir l’autonomie exacerbée qui a conduit la société occidentale à l’égoïsme dont elle souffre aujourd’hui.


La perception de la personne comme individu ou comme membre

Ainsi, la notion d’autonomie est comprise différemment selon la perception qu’a une culture particulière de ce qu’est une personne. L’autonomie comme autodétermination est une interprétation typique d’une culture qui perçoit la personne comme individu, c'est-à-dire comme entité séparée. Les cultures occidentales, qui ont valorisé l’autodétermination, le contrôle de soi, l’individualisme, cherchent à honorer et promouvoir l’autonomie en proposant au patient tous les choix thérapeutiques, tous les éléments diagnostiques, les risques associés à chaque choix.

Mais dans une culture où le lien social est prédominant, la décision n’est pas l’affaire du patient seulement. C’est tout son entourage qui est concerné. Lucy M. Candig souligne la valeur que peut habiter la possibilité pour un/e patient/e de s’en remettre à son entourage familial pour toute décision médicale, estimant que « cet abandon peut être un choix autonome ».

Dans ces cultures où l’autonomie individuelle n’est pas au cœur de l’identité, la personne se définit comme membre d’un réseau relationnel tissé d’obligations et d’interdépendance. L’autodétermination fait place alors à une co-détermination, ce néologisme cherchant ici à rendre compte de la dimension sociale et communautaire de la détermination.

Une telle co-détermination, plus que l’autodétermination, permet alors d’honorer cette « harmonieuse interdépendance » que décrit Ruiping Fan 7 L’auteur constate que bien des bioéthiciens contemporains croient que les principes de l’éthique biomédicale s’appliquent de façon universelle partout où la bioéthique est à l’œuvre. Ils estiment que ces principes, bien qu’une interprétation adaptative locale soit nécessaire, demeurent, pour l’essentiel, valables partout, et fournissent ainsi une base objective pour le jugement moral et pour les législations internationales. Fan défend le contraire. Prenant pour exemple le principe d’autonomie, son travail montre qu’il n’y a pas de contenu essentiel universellement partagé entre le principe occidental d’autonomie et le principe asiatique d’autonomie. Il décrit que le principe occidental de l’autonomie présuppose une conception subjective du bien, s’appuie sur l’autodétermination, et valorise l’indépendance individuelle, tandis que le principe asiatique d’autonomie présuppose une conception objective du bien, s’appuie sur le consensus familial, et valorise la notion d’harmonieuse interdépendance. Ces deux notions de l’autonomie diffèrent ainsi tant au sens général que dans leurs exigences morales.



1Kara, M.A. (2007) Applicability of the Principle of Respect for Autonomy : the Perspective of Turkey. J. Med. Ethics, 33: 627-630.


2 Britten, Jones R., Culpepper, N., Grass, L., Grol, D., Mant, R., Silagy, D., (éditeurs), 2005, Oxford textbook of primary medical care, Oxford University Press.


3 Moazam, Farhat (2000) Families, Patients, and Physicians in Medical Decisionmaking: A Pakistani Perspective. The Hastings Center Report, Vol. 30.


4 Lolonga, Débora & Hirsch, François (2007) Le concept d’autonomie de la personne à l’épreuve de la culture africaine, Revue du CAMES, série B – Sciences Sociales et Humaines, Vol 9 n°2 p181-187.


5 Poame, Lazare, (2001) L’éthique animiste, Nouvelle Encyclopédie de Bioéthique, Bruxelles, De Boeck Université.


6 Candig, Lucy M. (2002) Problems with Autonomy in a Multicultural World. In Families, Systems and Health.


7 Fan, Ruiping (1997) Self-determination vs. family-determination: two incommensurable principles of autonomy: a report from East Asia. Bioethics 11(3-4):309-22.

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