« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas »
Qu’est-ce qui peut séparer ce que Dieu a uni ? le manque de dialogue ? La soif de pouvoir et de domination sur l’autre ? La projection de soi dans nos réalisations, par exemple dans le travail ? Pour y répondre, c’est plutôt à ceux qui ont été mariés depuis des années de le faire : eux ils savent quelles ruines ils ont frôlé, et comment ils les ont traversées.
« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas »
Mais après tout, pourquoi ne pas séparer ce que Dieu a uni ? Tant de gens se séparent ! Qu’y a-t-il de si important dans ce que nous célébrons aujourd’hui ?
Le livre biblique du Cantique des Cantiques met en scène le désir entre un homme et une femme, la recherche éperdue de l’être aimé. Peut-être que nous pouvons y trouver des réponses ?
Le Cantique chante l’infinie beauté des retrouvailles, la souffrance du désir, pour lequel il n’y a aucun assouvissement définitif. C’est un texte d’amour, où le nom de Dieu n’est jamais mentionné, c’est un livre assez marginal à cause de sa forme et son contenu. Y est exprimée l’égalité du désir amoureux chez l’homme et chez la femme. Ce n’est pas l’histoire d’un homme qui désire posséder une femme, c’est un va et vient entre l’homme et la femme, entre le désir de l’un et le désir de l’autre.
Le côté religieux est balayé, il y a simplement un couple qui s’aime, sans visée de procréation, ni de mariage pour l’éternité. Dans ce texte de huit pages sur les 2500 pages que contient la bible, pas de prescriptions, ni de lois humaines; les autres pages sont pleines de Dieu, d’histoire, de lois et de mythes ; ici, rien de tout cela...
Certains maîtres du Talmud se sont battus pour maintenir le Cantique dans la bible, comme Rabi Aqiba, qui est un grand mystique juif de la fin du premier siècle. Et de même chez les chrétiens. Jusqu’à Calvin qui a vivement défendu l’introduction du Cantique dans le canon protestant.
Pourquoi cette polémique autour de ce texte ?
Peut-être à cause de la gène de livrer ces images sensuelles. De nombreux commentateurs ont cherché à en adoucir le contenu, leurs interprétations sont des métaphores: ces bouches ne sont pas des bouches, et ces jambes ne sont pas des jambes, non, ce sont des métaphores, le Cantique parle du bon Dieu et de Jésus-Christ ! On peut y lire le chant d’amour de l’âme dans son élévation vers Dieu, on peut y lire aussi le chant de l’alliance entre Israël et Dieu, ou encore y reconnaître les époux que sont le Christ et l’Eglise.
Et en effet, les hommes ont souvent utilisé des métaphores sexuelles pour qualifier la mystique. Pourtant, il faut bien reconnaître que ce texte évoque la part la part de l’homme la plus intime, celle qui le traverse et qui le dépasse ; le désir. Et quoi qu’il en soit, le désir n’est jamais condamnable, il est noble.
Mais il doit être cadré pour ne pas être vécu comme une aliénation. Le désir humain est à l’origine de bien des dépassements, il peut même conduire à se passer de Dieu.
L’un des grands mystiques du soufisme, Ibn Arabi au XIIème - XIIIème siècle pose la question du désir, aussi bien de l’homme pour la femme, que du spirituel pour son Dieu.
En pèlerinage à la Mecque Ibn Arabi tomba éperdument amoureux d’une jeune femme persane, et cet événement de sa vie lui révéla que le désir en nous est un reflet du désir d’absolu. C’est de ce désir fou qu’il découvre le visage ultime du double désir de l’homme pour son Dieu, comme de Dieu pour sa créature.
Pour Ibn Arabi, il n’y a pas de séparation entre désir humain et désir vis-à-vis du divin, il y a une unité, peut-être même une unicité profonde du désir. Le désir fondamental n’est autre que le désir divin, et le désir du fidèle n’est autre au fond que le désir de Dieu s’épanchant, se donnant dans la création.
Or qu’est ce que désirer ? Etymologiquement, la racine latine de ce mot c’est dé-siderare, (sidus, l’astre). Désirer c’est à dire avoir perdu son étoile, regretter l’absence de l’astre. Un manque qui donne la mesure de Dieu, de l’infini. Voilà une étymologie qui exprime que tout désir humain trouve sa source dans le manque même de l’absolu, et qui exprime aussi que celui qui est éperdu d’amour et de désir… est un pauvre ! Et cette pauvreté de l’homme est ontologique, elle est irrémédiable, inversement, la plénitude de l’être, c’est ce qui fonde la Seigneurie divine. En sorte que, pour Ibn Arabi, le désir, c’est ce qui, dans l’essence de l’homme, exprime le plus authentiquement la réponse à l’acte créateur.
Ce qui est à la portée du désir, c’est la manifestation de Dieu dans la personne aimée. Elle n’est pas le Dieu caché, mais elle devient, dans l’expérience amoureuse le dévoilement du Dieu personnel. En sorte que l’amour est alors un acte de sainteté, on pourrait dire que quand un couple s’unit, Dieu est là. Ainsi, le mouvement amoureux c’est ce qui sauve l’homme parce qu’il le fait entrer dans l’expérience de Dieu. Le désir et l’amour sont alors vus comme une expérience de rédemption.
« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. »
Le mariage est appelé à exprimer tout ce que l’on porte comme désir et amour, et à refléter le désir et l’amour divins. Refléter ce n’est pas assez, le mariage est appelé non seulement à l’expression mais même à l’incarnation de l’amour divin. Cette union est Icône de l’Alliance Eternelle, elle est temple saint, où Dieu fait sa demeure.
Votre mariage ne vous appartient pas, vous en êtes responsables mais il ne vous appartient pas, et c’est peut-être la raison pour laquelle c’est un acte public. Votre mariage vous dépasse, il engage d’abord vous, mais il n’engage pas que vous ; d’autres s’engagent, et Dieu lui-même s’engage. Votre mariage est un voyage, charnel et spirituel.
Qu’il soit un acte de sainteté !
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