Ecouter un autre.
Ecouter un texte en le lisant.
L’Ecoute consiste à faire en sorte d’entendre vraiment. Il y a des techniques pour ça, qui aident à éviter de faire des références comparatives, à éviter de plaquer nos précompréhensions sur des situations, ceci au profit d’un double bénéfice:
1 - que je fasse une rencontre; car toute personne est plus que ce que j’attends d’elle, il s’agit donc pour moi de m’imposer une certaine retenue, que je qualifierais de chasteté, afin que cette situation soit pour moi plus qu’un objet de transfert, sur lequel je projette mes émotions, souvenirs. Bref s’il est possible, que cette retenue me permette de recevoir une révélation, car toute rencontre véritable est une révélation.
2 - le deuxième bénéfice c’est que la personne puisse trouver dans notre chasteté une chance pour s’exprimer; l’écoute est rare, et bien des gens vivent dans un désert d’écoute.
Quelles sont les techniques d’écoute? Je me sers ici de trois expériences, que sont l’écoute de jeunes en grande difficulté, dans le cadre d’une association où j’ai fait mon service en tant qu’objecteur, l’écoute de malades du sida avec l’association Aides, et le travail de textes bibliques. Je parle donc de l’écoute, et non des échanges d’idées ou de tout ce qui, par la parole, nous construit et construit ce monde.
Ces techniques d’écoute, consistent à une certaine chasteté. La chasteté c’est une distance respectueuse qui me permet de ne pas me précipiter sur ce que dit l’autre; de ne pas l’envahir, de ne pas mettre la main dessus. La chasteté consiste à ne pas faire de référence comparative (“c’est comme moi la semaine dernière”), ni d’interprétation hâtive. Le problème se pose lorsque l'on croit savoir ce que l'autre veut dire. On lui coupe la parole. Il faut au contraire découvrir, il faut commencer par ignorer ce qui sera dit. Si d’avance je sais, je ne peux pas entendre.
Dans l’écoute, on peut utiliser la reformulation; il s’agit de redire ce que mon interlocuteur a dit, avec mes propres mots, sans interpréter, mais seulement reformuler. L’autre entend alors que j’écoute vraiment, que je suis attentif, et que j’entends; et la reformulation permet de le relancer, d’approfondir et de préciser, de rebondir sur autre chose. La reformulation évite aussi de poser des questions qui sont plutôt le fruit de ma curiosité, des questions de classification, des questions qui essaient de faire du renseignement: quelles études as-tu-fait? Quelles sont tes rapports avec ton père, etc... il faut faire taire en moi la curiosité, et me suffire de ce que l’autre dit de lui.
Dans l’écoute, il s’agit d’être attentif à la part qu’occupe en moi “ce que je voudrais dire”. Car on se surprend soi-même parfois à être submergé par l’envie de dire quelque chose, au point que je n’écoute plus, mais j’attends que l’autre ait fini sa phrase pour enchaîner et pouvoir dire “ce que je voudrais dire”. Et on peut ainsi entrer dans un dialogue de sourds, où il n’y a pas de rencontre, mais deux personnes qui “voudraient dire quelque chose”. Ce qui est en jeu, c’est de discerner une relation possessive ou narcissique par rapport à “ce que je voudrais dire” : oui, je suis attaché à la finesse ou à l’intérêt de “ce que je voudrais dire”, au point que j’en suis possédé : je suis possédé, maîtrisé par le désir en moi de dire quelque chose. Voilà le lieu de la vigilance : c’est de purifier mon désir de dire quelque chose.
On voit qu’il y a là le lieu d’un combat en nous. Dire quelque chose, lorsque je suis en train d’écouter quelqu’un, cela peut aller parfois jusqu’à poser sur lui une analyse, un discernement. Voilà : je vais lui dire comment je vois les choses, je vais lui éclairer sa lanterne.
Mais d’une certaine façon, je ne peux lui éclairer sa lanterne que dans la mesure où il me le demande. Avant qu’il ne me le demande, il y a un risque de lui faire violence. D’où l’intérêt de ce vieux principe complètement démodé que je cherche à appliquer à moi même: “Tu parleras lorsqu’on te le demandera”.
Tant qu’on ne m’a pas demandé de parler, il y a des chances que je ne sois pas entendu, parce que le désir de ma parole n’est qu’en moi. Alors si je parle, c’est parce que “je veux dire quelque chose”, plutôt que pour que la parole soit au service d’une rencontre.
Lorsque l’on écoute, il peut arriver que l’on se trouve en face d’un flot de paroles dans lequel on a beaucoup de mal à trouver un intérêt: il se peut que cette personne ne s’adresse pas à moi mais à elle-même, et se serve de moi pour s’écouter parler. il se peut que je ressente alors un malaise. Il faut alors que je fasse irruption dans cette logorrhée : pourquoi me dis-tu cela?
Il reste que chacun de nous a besoin d’être écouté. Il reste que nous, humains, avons besoin de nous trouver en face d’une personne à qui parler, de qui nous puissions être entendu. On a dit que le rire est le propre de l’homme. C’est faux. Le propre de l’homme c’est la Parole.
Parfois pour vivre, il me faut parler, prendre la parole pour dire ce que j’ai à dire, ce que j’ai besoin de dire ou de raconter, pour que ce soit vivable, pour que je puisse vivre avec. Ce besoin de parler est légitime et respectable, et ce que j’ai dit tout à l’heure ne veut pas jeter le soupçon sur celui qui parle. Et je ne veux pas non plus placer l’écoute du côté de la thérapie.
L’humain est un être de silence et de parole, et la parole est porteuse de ce qu’il y a de plus élevé en l’humain, la parole est transcendance, elle est chemin de transcendance. Apprendre à écouter, c’est s’élever.
Je pense que l’écoute est à la source de l’amour. Et même à la source de la contemplation. Dans l’écoute, apparaît le mystère de l’autre, dans sa richesse et sa vulnérabilité, dans sa beauté. Voilà pourquoi j’ai commencé en disant que toute véritable rencontre est de l’ordre d’une révélation.
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