Demain dès l'aube, à l'heure ou blanchit la campagne, je partirai. Je sais que tu m'attends. J'irai par les forêts, j'irai par les montagnes, je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Victor Hugo
Demain vers Alger, puis Biskra. Vers mon prince, mon bien aimé.
Nouvelle plongée dans ce monde Algérien. Nouvelle avancée aussi vers cette amitié. Comment aller vers la joie? Comme toujours je suis à la fois heureux et inquiet. J'ai peur de tes réactions, peur que tu me repousses... il me faudra de l'adresse, de la finesse. Je suis heureux de te gâter un peu. Je voudrais te pousser, te tirer vers ta réussite.
28 décembre - Air Khalifa - Marseille Alger. 1h15 de retard... comme d'hab. Jour après jour l'aéroport d'Alger crée des problèmes techniques pour retarder le départ du vol de Marseille. Pourquoi? sans doute pour faire payer Khalifa?
A mon arrivée je suis contrôlé à la douane: j'ai avec moi un photocopieur, une machine à écrire, une calculatrice-imprimante, et un fax-téléphone. Le dernier sera saisi contre taxe: 10 000 Da. Je ne peux pas payer. C'est donc saisi par la police, contre un billet de dépôt qui me permettra ?? de le récupérer lors de mon retour en France. En fait on est clairement en face d'un racket: ils veulent 10 000 Da. Tout se passe dans le sourire, mais je ne paye pas. Ils sont un peu désolés. Le chef est appelé qui confirme mais laisse passer le reste.
Jean et Jean-Marie confirment que c'est la première fois qu'ils vivent ça. En fait, je me souviens que mes valises étaient marquées de deux traits de craie blanche: peut-être le scanner avait-il vu de l'électronique? J'aurais donc été ciblé dès le contrôle bagage?
Le plus étonnant c'est la négociation qui demande 10 000 Da, somme arbitraire pour arrondir les fins de mois des douaniers. Ils visent des gens riches, et sans scrupules les taxent. Je prends tout ça avec le sourire: Malesh... c'était des cadeaux que Jacques Perdriau m'a fait pour des prêtres: c'est une bonne chose, mais tant pis pour la perte en cours de route. Je doute beaucoup de récupérer ce fax à mon retour... mais j'essayerai.
Crampe au dos (tiens tiens??). Myolastan, en espérant que ça va cesser: ça dure depuis mardi. Mais je me sens partir dans le sommeil.
29 décembre - l'artisan bijoutier
Seul, dimanche. Monté au Riad el Feth. Musée du Djihad. Belle montée depuis le jardin d'essais. Pizza sur la place. Je n'ai pas la monnaie... le prix descend de 185 à 170 Da. Je vais ensuite vers le village des artistes, dans le "bois des Arcades". Quelques boutiques vieillottes, d'art convenu. Puis je suis attiré vers une devanture de bijoux anciens.
J'entre doucement. Les deux hommes ne lèvent pas la tête. M'ont-ils seulement vu? Je regarde longuement leur travail: ils sont en train de fabriquer des boucles. Au bout d'un bon moment le plus vieux s'adresse à moi en français "Vous aimez ce travail? - oui! c'est très beau! "J'ai eu la visite de Danièle Mitterrand, elle est restée près de deux heures". On me montre la preuve, la lettre de remerciement qu'elle a écrite. "Tenez, je vais vous faire la grande démonstration. C'est toujours les français qui apprécient ce travail. J'aime." Et comment alors, pendant une heure, la confection d'une broche en argent. Tout est fait en argent. Merveille d'artisanat, avec patience et minutie. Un ravissement de raffinement et d'industrie. Voilà la broche qui prend peu à peu forme, sur une plaque d'argent. Elle est là devant moi. Il y a serti trois pierres de corail: Joie Simplicité Miséricorde. Ce bijou a été fait pour moi, et en effet il est fait pour moi. Le porterai-je ? On le porte à droite si l'on est célibataire, à gauche (côté cœur) si l'on est fiancé, et un de chaque côté si l'on est mariée.
Le vieil homme a appris son art de son père, à la suite de son grand-mère. Bijoux berbères traditionnels, avec émaux en Kabylie, sans émaux dans les Aurès. "Qui reprendra après vous? - personne, les choses ont beaucoup changé." Il a souvent travaillé pour le précédent ambassadeur - Meyer? Quand il était gamin, il travaillait au bled, mais ils sont montés à Alger. Ce village était l'unique où se faisait cet art du bijou berbère, me dit-il.
Je sors de là tout heureux après avoir acheté cette broche 800 au lieu de 900Da selon la pesée. Je m’assois à une terrasse ensoleillée pour goûter cet instant chez Y. Nemchi, artisan. L'instant est délicieux, raffiné. Joie d'être ici.
En buvant lentement ce café, je me souviens de la remarque de Hammanour à Ouargla: tu bois ton café rapidement, pourquoi? Hammanour me manque, par l'impatience de le retrouver demain. Car demain, taxi vers l'aéroport, vol vers Biskra, et mes bras l'embrasseront. Dix jours de rencontre. Je ne sais pas dans quel cadre... Bismillah!
Le myolastan m'assoupit. Je veux cependant écrire. "Sarah eut foi, et devint capable..." Par la foi donc. Je sais que le désir, la volonté, sont la grande force, celle qui mène bien des choses et des projets à leur réalisation. Une volonté de fer, comme mon patron Raoult, par exemple. Voilà pour les caractères riches, pour les leaders. Il existe cependant une force immense pour ceux qui ne sont pas des leaders, des puissants, des volontés fortes: il existe la confiance (ou la foi, c'est la même chose en latin: la fides). Car la confiance elle aussi renverse les obstacles et convoque la pâque: la résurrection. La traversée des obstacles, tunnels, peut se faire par la vertu de la confiance et de la foi. Elle permet aux pauvres d'aller vers la réalisation; c'est la force historique des pauvres.
[...]
Nuit du 29 au 30
Encore une nuit sans sommeil. Huit mois après, au même endroit, à El Harrach, et avant de m'envoler pour Biskra, de rejoindre le bien-aimé, je me réveille au milieu de la nuit, sans sommeil. Je ne dirai pas que je brûle, comme je brûlais en avril. Mais je suis à la fois heureux et comme inquiet.
Une idée dans la nuit: j'achète un petit appart (1 ou 2 pièces) à Biskra. J'y installe Hammanour (atelier) et j'y viens chaque fois que je le veux. Il y vit seul, et personne d'autre ne peut y habiter sinon lui. Je paie l'eau et l'électricité. Porte métallique, immeuble récent. Et dans vingt ans je viens y passer ma retraite.
N'importe quoi... mais ainsi va le rêve d'aimer. Folie amoureuse. Tant d'autres avant moi y ont perdu la tête!!
31 décembre
Calme amoureux en face du réel, de sa distance. Caressé son visage ce matin tandis qu'il s'éveillait. Pas de signe de plaisir. J'ai un peu forcé la dose sur les cadeaux. Je l'ai senti un peu écrasé par leur prix. Pastels et machine à écrire.
Plusieurs ont fait la même réflexion: Hassan et Lotfi "il semble que tu n'es jamais parti, il semble que c'était hier." En effet, me voilà comme à la maison. J'ai eu aussi une réflexion de Abbas, disant que je suis un homme simple, qui ne se gène pas de s'asseoir à terre, à la hauteur de l'autre.
...
Épuisé par le combat verbal, la lutte pour démontrer, pour avoir raison. Il n'y a pas en lui de désir d'ouverture ou de découverte, mais il est buté, fermé dans ses certitudes. Oh pauvre peuple sans ouverture, baignant dans l'ignorance et l'arrogance. Ai-je pu témoigner de l'évangile ou même de ce que je suis? Jamais je ne peux développer. Sans doute apprend-je beaucoup dans cette fraternité de tous les instants, sans doute aussi au-je croisé des hommes plus ouverts que d'autres. Et j'ai choisi le plus fermé. Intelligent pourtant, mais...
Après le notaire, nous laissons Rhoma qui raccompagne sa sœur à Sidi Okba. Au soleil d'une terrasse, un jus, puis c'est l'heure de la prière. Nous allons dans une mosquée du centre-ville. Là, je suggère que je peux me tenir en retrait? Il hésite puis acquiesce. Je prie à genoux, assis sur mes talons.
Une main sur mon épaule. Est-ce déjà la fin? C'est le signal que nous nous sommes donné.
Mais non: un grand noir me fait signe d'avancer, de ne pas rester à l'écart. Il me parle en français: fais comme moi. Je fais donc les gestes. Ce qui m'étonne c'est que cet homme souriant a été tellement plus simple que l'aimé; il m'a simplement fait venir: fais la prière, et c'est Dieu qui voit dans le cœur. Hammadi est-il un peu vexé? Il se justifie en disant que cet homme m'a pris pour un converti récent.
Retour à l'atelier. Rhoma est déjà revenu. Nous partons pour le mariage d'un de ses amis. Taxi. Ca se passe dans une école. Nous sommes accueillis dans la cour par l'époux et son père. Nous entrons dans la salle. Il n'y a que des hommes. C'est une cantine en fait. On nous fait asseoir à une longue table, et les plats sont servis. La musique hurle si fort qu'il n'est pas question de se parler de part et d'autre de la table; on ne peut que manger. D'ailleurs ça ne dure pas, nous avons bientôt fini (Hammadi est parti au milieu du dîner pour la prière). On nous offre des gâteaux et des cacahuètes. Le retour: taxi puis stop jusqu'à Sidi Okba.
A la maison Makhloufi je cherche un peu de calme et de solitude, mais on me sert la musique et la conversation. Par plusieurs fois j'invite Rhoma à passer du temps avec sa famille. Je suis obligé de lui dire que je souhaite me reposer. Il me laisse donc. Arrive Hassan qui sort le Coran. Hammadi rentre (il a fait du stop avant nous, il nous attendait au magasin de son frère Lotfi). Fin de soirée: Coran... rien d'un réveillon!
Mercredi 1er
Lever tôt, je vais acheter du pain. Geste de service. Petit déjeuner tardif (comme on est long à se mettre en route!!) et café en terrasse. Là, nous croisons Youssef. C'est moi qui l'ai vu le premier dans la foule.
Retour. Saïd. Soir chez Youssef où nous restons très peu. Passage par Sidi Okba. Soir chez Saïd.
2 janvier - Saïd Lahmer de Doulcen
Le lendemain à Doulcen chez Saïd, au bled. Nous faisons le tour du bled et du souk. Puis à la maison sur l'herbe entre les palmiers. Mais il y a tant de choses que l'on ne doit pas faire ... Pas s'asseoir si on est en vue d'une autre maison, pas siffler, pas ceci et pas cela...
A la fin de la journée j'explose: Vous êtes obsédés par le Shatan. Je pense tellement ce que je dis que Hammadi et Saïd sont un peu effrayés. Ils sentent aussi que j'ai raison, qu'ils sont obsédés par le péché et la négativité. Le mal est partout. Pauvre peuple qui, comme les chrétiens, a mis au commencement non pas l'amour mais le péché. Encore un système religieux qui tourne autour de la culpabilité.
Saïd va se marier: il le peut à 29 ans! Il a un métier, un travail d'enseignant, et même un appartement en duplex, en plein centre du nouveau quartier. Il est juste fiancé. Elle a 18 ans, a fait peu d'études. "C'est difficile de trouver une fille bien. Je l'ai choisie jeune et peu instruite pour pouvoir la charger (enseigner, former)".
Ce projet me choque. Comment peut-on choisir une jeune fille peu instruite pour la "former" ?? Rhoma a le même projet. Mais elle ne sera donc pas une partenaire à égalité! Or c'est pour moi une évidence, le mariage est un partenariat à égalité.
Saïd ne suivra pas ce premier projet. En vérité par la suite il épousera Manal qui est juriste et avocate. Voilà qui réconforte mes valeurs...
8 janvier - Ecouter, c'est aimer
Ce n'est plus la salle de dégrisement, au contraire. L'amitié a traversé plusieurs stades. D'une part le renoncement amoureux. Il s'est fait assez vite. Merci à l'Islâm et à Hammanour. Quand l'interdit est absolu, ça structure les relations. Et par ailleurs, Hammanour ne partage pas mon orientation amoureuse; il veut se marier, et rapidement si possible. Son attitude avec les enfants est émue et douce.
Hammanour dans le passé a péché; confession à la terrasse d'un café, en présence de Saïd. Cette expérience l'a sans doute averti de ce qui est vanité. Mais aussi l'a rapproché de sa religion. Le voilà donc mûri pour construire, non pour "consommer".
Autre passage que celui du renoncement amoureux, c'est le passage par le conflit, l'envie de partir, de les plante là. Le sommet de cette déception c'est son refus d'écouter, sa façon d'avoir toujours raison. Il m'est arrivé de me "mettre en colère" par dépit de trouver Hammanour qui ne m'écoute pas - ne me laisse pas parler - conteste à chaque demi-phrase, et n'est finalement pas intéressé à connaître ma pensée. La présence d'autres amis a souvent permis que je m'exprime: demandant qu'il me laisse terminer. Il y a donc eu un moment où je me suis trouvé à bout de patience, avec l'envie d'aller rassembler mes affaires et de partir. Sand doute cela était-il mêlé de dépit amoureux.
Mardi 7 - Déjeuner avec Jean-Marie Varin. Bien sûr la conversation avec Hammanour tourne religieuse. Je suis admiratif de la façon de Jean-Marie de tenir bon, et de réfuter, en ne se laissant pas couper. Trop de douceur dans le dialogue peut sans doute avoir un effet négatif sur l'échange: cela encourage le dominateur à ne pas écouter. il faut en effet recadrer le dominateur, pour le service du dialogue, pour qu'il y en ait un !!
Jean-Marie raconte un livre de Gilles Kessel: expansion et déclin de l'islamisme (ce dernier mot, comme celui de christianisme, englobe une large panoplie d'opinions). Apparaît un homme cultivé, intéressé par ces questions de l'Islâm, et qui raisonne de façon... lettrée, ce qui est rare ici. Oui Jean-Marie Varin est intéressant, et il sait discuter avec l'Islâm.
Voilà une société qui se cultive peu. Les opinions se font par la télé et la mosquée. Israël, Palestine, USA, Irak, ces sujets sont brûlants mais peu instruits, peu renseignés.
En fait je suis ici dans une société traditionnelle: forte structure familiale et structure religieuse. Une société finalement très réglementée; et tant de choses qui "ne se font pas". Siffler, offrir un cadeau à une jeune femme, parler de certains sujets soit lorsqu'il y a des frères, soit en groupe... Je découvre l'Islâm social, qui réglemente beaucoup de choses. Il est suivi à la lettre, ce qui ancre la société Islamique dans une stabilité qui peut confiner à l'immobilisme...
Cette société traditionnelle m'est apparue surtout à Aïn Naga, lorsque nous sommes tous allés à la prière: à la sortie, il y avait Hocine, et plus loin devant son père (qui m'a offert une pièce de viande de chameau). Le père et ses fils prient à la mosquée, vivent là, se marient là... Tout un système local, villageois. On comprend ce que signifie "le bled", c'est tout un réseau familial et amical, relations d'enfance et de connaissances.
Prier à la mosquée, selon le barème du Kùran, c'est 27 fois plus de points (pour le jugement final). Et donc la mosquée réunit bcp de gens, 5 fois par jour. Forte pression communautaire, qui pousse à se montrer, à pratiquer en public.
"Boulot d'arabe". Expression insultante en France, que j'ai retrouvée en moi-même, en voyant l'à-peu-près de tant de travaux. On ne finit pas les choses, on fait en gros, c'est bâclé, c'est pas achevé, ça reste sale, déglingué, merdique. Bref c'est pas du boulot. Porte qui est mal ajustée, pas à la hauteur, peintures qui ont débordé (mais personne n'a retiré le "débordé"). Maisons construite à moitié. Tout est provisoire. Ce qui ne manque pas d'une certaine profondeur. On n'est pas attachés aux choses. On offre ce que l'on a, sans calculer pour demain. Il y a a cependant des familles prospères, comme celle où nous avons passé la soirée mardi soir. La famille Bouchemal a des figuiers, de la terre, une épicerie, une Laguna et une camionette. Grande belle maison, une chambre chacun. Ce fut une soirée superbe. Abdelkghani (Khani) est sympa. Il ne fait pas la prière, et ce mercredi il a RV avec celle qu'il doit épouser. Il est tout excité. C'est touchant qu'il m'ait confié ce secret. Je suis touché de la confiance de ce jeune-homme. Tous ont entre 25 et 35 ans. On se marie tard ici.
Saïd lui aussi est prospère. Je ne sais pas comment il a pu acheter un appartement duplex de 100 000F mais il est prêt à se marier.
Les Makhloufi sont bien pauvres aussi. Mais tous sont accueillants avec joie et honneur. Tous veulent inviter l'étranger, partager ce qu'il ont. La mère de hammanour m'a confectionné une écharpe, aux couleurs de la France et de la Palestine. Touchant.
A nouveau ma présence a provoqué l'arrêt de toute activité pour Hammanour. Il était tout à moi, toujours proche, disponible, m'accompagnant partout.
En lui commandant 2 tableaux j'ai pu lui donner 5000 Da. Je sais que l'argent lui file entre les doigts. Je voudrais qu'il ait de l'argent, enfin qui'l puisse s'établir. Il a un pb du côté de la décision, ne sachant s'il veut rester ou émigrer: 28ans. Son père, assis dehors au milieu des pierres et des chèvres lui demande "Mon fils, que fais-tu dans la vie?" "Je suis" (du verbe suivre). Hammanour gouli que c'est une bonne réponse.
Son frère Lotfi a ouvert une boutique: papeterie et cassettes islamiques. Il n'y en avait pas à Sidi Okba. Ce jeune a les pieds sur terre, plus que Hammanour son aîné.
Le vieux Bouchemal (rencontré chez lui à Aïn Naga) a vécu en France, mais ne parle pas trois mots de français. Comment?? il n'est donc pas allé rencontrer ni la France ni les français, mais n'est allé chercher que tu travail et de l'argent ? Dans ses conditions, comment peut-on rencontrer la France telle qu'elle est ?? On n'y rencontre alors que la course à l'argent, et la difficulté de trouver logement, famille, solidarités... c'est à dire qu'on y trouve ce que l'on a apporté: une course à l'argent. Tant d'algériens trouvent la déception et le repliement. Je ne le souhaite ni à Rhoma ni à Hammanour.
Merveilleuse soirée mardi 7 à Aïn Naga, avec Daha le timide. Rhoma et Hammadi, Yacine, Khouri et Kamel (les frères Bouchemal) Messaoud et Aderrazek. D'abord en ville, puis promenade dans la palmeraie, à l'heure où les lycéens rentrent chez eux. Pause là où la chamelle a posé le pied (Naga!) et guitare espagnole. Cette guitare que Nourredine Tabrha a rapporté de l'école, cette guitare nous a beaucoup rassemblés. Les algériens sont extrêmement sensibles à la musique. J'ai longuement chanté Aïcha (Khaled) en réinventant les paroles: "elle est inscrite en informatique - elle ne m'a même pas regardé". Je suis passé pour un grand guitariste, simplement par ma capacité à retrouver des airs et à les accompagner. Il faut travailler ce langage de la musique et du chant, et de la mémorisation. Hammadi disait: c'est un langage universel. C'est vrai, il ma faut travailler ça.
11 janvier 2003 - retour vers Marseille. Aéroport. Mauvais temps.
Déposé par Jean T et Marouane.
Beau séjour qui me donne sûrrement envie de revenir. Il y a eu pourtant un moment où je me jurais de je plus jamais revenir, ce moment où l'on ne m'écoutait pas, où l 'on ne me laissait pas parler, pour me contredire toujours. Et puis un peu de distance à rétablir le contact.
Je ne suis plus amoureux. C'est ma vie d'avoir ainsi des passions raisonnées, des amours que la raison peut faire revenir à l'affection amicale. Dieu merci.
Avril 2003 - Aérport Marseille Provence, vers Alger. Que viens-tu faire en Algérie? La joie de ce contact avec une autre culture?
jeudi 29 décembre 2016
mardi 27 décembre 2016
Le cœur retourné
Chroniques l'Algérie - décembre 2004
Aéroport Marseille-Marignane, en route vers Batna.
Mariage de l'aimé avec Baya.
Oh comme il aime sa femme! Ils n'auront pas été longs à s'aimer de tout le long de leur corps. C'est bien.
C'est moi qui ai payé le mariage. J'en suis content.
Un jour Hammanour m'appelle.
- Je voudrais ton avis car tu est mon grand-frère. Le patron du labo de Bamako me propose à nouveau de travailler pour lui. Je suis tenté.
- Pourquoi ?
- Pour économiser, pour payer le mariage. C'est cher tu sais!
- Oui mais tu es marié maintenant, même si c'est devant l’imam et pas encore devant tout le monde, tu est marié. Tu ne peux pas laisser ta femme. Ta place est auprès d'elle. Tu peux l'emmener avec toi à Bamako ?
- Oh non. Pour deux raisons: la première c'est qu'il faut un endroit pour nous. Une simple chambre ne suffit pas. La deuxième c'est que le mariage n'est pas officiel et je ne peux pas faire contre: c'est la tradition, on ne peut pas faire autrement.
- Mais Baya, elle dit quoi ?
- Elle ne voudrait pas que j'y aille, mais il faut bien...
- Donc ce sont uniquement des raisons d'argent : tu y vas uniquement pour l'argent ? Alors il ne faut pas y aller. Ta place est auprès de ta femme.
- D'accord je te rappelle ce soir.
...
- Allo? C'est Hammanour. J'ai parlé avec Baya, elle est d'accord avec toi.
- Hammanour, je voudrais savoir, un mariage ça coûte combien ?
- les bijoux 8 millions, mais on peut les emprunter et les rendre. La dot, 5 millions. La chambre, 5 millions. La fête, 5 millions.
- Hammanour je vous donne mille euros (onze millions Da)
- ... (silence) ... Je sais pas quoi dire...
- Je ne veux pas que l'argent vous empêche de vous marier. Je vous donne mille euros. Je ne veux pas que tu laisses ta femme pour partir à Bamako chercher de l'argent. Tu en parles à Baya ?
- C'est très gentil. Je vais lui en parler.
Comment envoyer cet argent ? Je contacte Western Union (très cher) puis la Poste (importante commission). C'est Hammanour qui me donne la solution : ça y est j'ai reçu l'argent, et quelqu'un viendra te trouver à Marseille, et tu lui donneras l'argent.
- Combien tu as eu ?
- Onze millions (c'est le meilleur taux, celui du black).
Et en effet plusieurs semaines après, je savais que je devais trouver un jeune Saïd qui avait mon numéro de portable. On s'est entendus pour un rendez-vous à la Timone (Casino). Il avait l'air de connaître Marseille. Clio blanche. J'ai vu arriver un jeune arabe looké - survêt blanc, fin collier de barbe, cheveux très courts, lunettes fumées. Gentil, un peu méfiant peut-être?
Je monte à l'arrière. Ils sont deux, lui est passager. Remise d'argent, je remercie pour leur service. Je descends.
Les banques n'ont rien touché. Tout sur la confiance, la parole, et rien selon les règles et garanties
occidentales. Le meilleur taux qu'on puisse trouver, et le mariage qui devient possible. Hamdulillah!
...
En route donc vers Batna puis Biskra, pour assister au mariage de l'aimé. Dieu comme j'ai pu être heureux de l'aimer! et souffrir de ne plus l'aimer ! Comme j'ai pu écrire des pages mordantes, acerbes ! Mais le charme agit toujours; il suffit qu'il appelle, qu'il me regarde, et je l'aime à nouveau.
Il aime Baya. Le voilà tout à fait heureux et amoureux.
Cette découverte légitime de tout le long de leurs corps, de toute la nudité de leurs peaux, de toute la flamme de leur émotion, de leur désir fort... fort! Les voilà emportés par cet ouragan, et par leur projet de famille.
Cette possibilité qui s'ouvre après trop d'attente et de frustration, son sexe fébrile cherchant abri en elle, leurs poils jamais touchés, jamais caressés, enfin sous la main de l'autre, ses mains sur ses seins, les caressant, les découvrant. Ses mains sur ses fesses fermes, rondes, poilues. Cette taille fine, ce ventre plat, cette cambrure! Ses cuisses fines contre ses cuisses musclées, fermes. Cette fièvre qui les saisit, que rien ne peut arrêter. Cette envie de recommencer dès le soir, et la confiance qui grandit entre eux, se donnant l'un à l'autre ils se compromettent et se lient.
Une union se célèbre sans témoins, ciment concret de leur vie future. La parole entre eux, les projets, les bêtises. L'inquiétude, la honte qu'il faut cacher. Un destin partagé qui construit une joie immense.
La maturation a commencé. Ils veulent tout assumer, ils veulent construire ce qu'ils ont engagé.
Ce sera un mariage heureux. Enfin ils pourront s'aimer chez eux, sans que rien ne leur soit interdit. Ils pourront jouer des variations sur peau, ils pourront s'aimer longtemps, se tenir chaudement l'un contre l'autre. Elle est si heureuse. Elle est comblée. Lui aussi.
...
Voilà, le mariage est passé. Je me suis beaucoup ennuyé. Comment pouvait-il en être autrement? J'ai essayé de sourire, de plaisanter. Souvent mes pensées étaient ailleurs. J'étais souvent comme ballotté par les étapes du mariage, ne sachant jamais ce qui devrait se produire ni pourquoi on attendait.
Bien sûr j'ai fait quelques gaffes, par exemple en prononçant tout haut le nom de Baya - ce qu'il ne faut jamais faire. La femme est un trésor caché et qui doit le rester. Son nom doit rester tu.
On retrouve là l'un des grands fondamentaux de l'idée d'idéal caché - masqué - protégé. Comme Dieu: inconnaissable, ineffable, dont le nom est imprononçable. Telle le femme: chercher à la voir c'est déjà voler son éclat et ternir le trésor. Le trésor est d'autant plus précieux qu'il est éloigné, secret, caché. On est en pleine mythologie de la femme, dans sa représentation. Or nous savons la valeur de l'esthétique, elle rend la vie belle et possible.
La femme est respectée et cachée comme on le fait avec Dieu. C'est aussi une façon de ne pas entrer dans le réel. C'est toute une société qui est ainsi fondée dans le goût pour la poésie, l'imaginaire, le caché-secret.
Mardi fut une drôle de journée avec Hammanour: un festival d'inorganisation, de paresse et d'immaturité. Le plus drôle c'est que je m'y suis fait sans colère: c'était son moment, et je décidais de le laisse faire - je devrais dire "de laisser ne pas se faire". Ce jeune crétin branleur (l'aimé) comptait sur une hypothétique R25 pour nous transporter tout le jour dans nos courses à Biskra: matelas - dettes à recouvrer - costume - produits Dove etc... Toute la matinée s'est écoulée, nous voyant dans l'indécision en attendant cette voiture que jamais l'aimé n'avait réservée. Passage chez ses parents, puis chez lui (belles peintures au mur). Puis il s'est tourné vers son frère Lotfi pour lui procurer un "express" avec lequel il y avait à transporter le mouton (prononcer "le moto") et plusieurs cageots de légumes.
De nouveau nous avons attendu l'express, puis on est allés livrer chez Baya. Ensuite c'est Messaoud - beau visage, 30 ans - qui a continué avec l'express à nous piloter: Matelas, costume. Les achats n'ont été faits que le lendemain. J'ai été amusé d'assister à la nullité de l'aimé: peut-être pour brûler les derniers germes de jalousie en moi? Besoin de contempler l'aimé dans ses moindres côtés, pour ne pas regretter, pour ne pas fondre en larmes d'abandon.
Autre épreuve: rencontrer Baya, cachée, bâchée, muette et rougissante, moi qui lui souhaitais une partenaire mûre... On verra. Je ne suis pas certain de mon comportement s'il me faut subir la non-rencontre. Et si je partais à Adrar, chez Philippe? Souvent ici j'ai envie de partir...
...
- Abdelmoumen, le tête dans le keffieh, le sourire gêné mais ému.
- Zizou à qui l'on commande toujours fais-ci, fais-ça. Tête brûlée mais il était bien là pour faire ce qu'on lui disait.
- Yahia absent, fuyant, comme d'habitude,
- Lotfi, Toumerte, actifs, Toumerte et son air triste, Lotfi élégant, sérieux. Vraiment, l'élégance n'est pas propre à un milieu social. On trouve des élégants dans tous les milieux, et des négligés aussi.
Pourquoi suis-je revenu, moi qui avais déjà observé à peu près tout ce que j'écris cette fois? Je suis revenu par ce qu'il m'en a prié, parce que j'ai été charmé de ses appels, de sa confiance, parce que c'est lui qui a fait en moi ce passage du désamour à l'amitié. Enfin parce que je l'aime, et que le sentiment se moque des raisonnements objectifs.
...
Je me pose beaucoup la question d'investir, c'est à dire d'acheter un appartement. Ce serait donc pour y venir régulièrement, et peut-être pour ma retraite, ou pour une vie en alternance ?
Il y a ici des artistes, les amis, encore faut-il voir comment ça va tourner lorsqu'ils auront charge de famille? Il y a aussi l'importance de la vie amicale - masculine - lorsque l'homme s'ennuie avec sa femme ou à la maison. C'est alors que commence la création artistique, l'entreprise;
Ici à Siki Okba? Non. A Biskra peut-être, mais je serais alors très dépendant des amis. Et toujours cette envie de maison, de terrasse!
C'est maintenant l'heure de la grande prière. Sur la terrasse Makhloufi, me parviennent les vociférations des prêcheurs. Dieu veut ceci, et ne veut pas cela. Faites ainsi et vous aurez des points.
Les larmes viennent peu à peu, à travers un sentiment de bouderie. Envie de bouder l'aimé, envie de me refuser: de quitter le repas, de dire des choses... "Je ne reviendrai pas - la commande de tableaux est annulée - Tu aimes surtout mon argent et ma générosité."
Voilà les larmes d'amour, les larmes de mon amour qui ne sait plus où se poser, qui longtemps se posait sur l'aimé - mais l'aimé s'est marié hier.
Claquer la porte en sorte de "Je t'aime". Et me tourner moi aussi vers la créativité pour exister, pour respirer, pour expirer.
...
Vendredi soir
Comment me suis-je laissé emmener chez sa famille, moi qui ne le voulais pas?? Quiproquo sur la destination. Je croyais que nous aurions un dîner des proches, chez les mariés. Je m'en suis fait une joie lorsqu'on me l'a annoncé. J'ai préparé la guitare, un cadeau. Et puis en route la surprise, le désastre: nous n'allons pas chez Hammanour, mais dans sa famille... ce qui signifie le protocole et la séparation, ce qui signifie qu'on va manger et c'est tout, et qu'il y aura à peine une apparition de la mariée, une apparition convenue et empreinte de la rougissante timidité de bon ton.
Je tire la gueule au maximum. Je n'ouvre pas la bouche, je ne regarde personne, je mange à peine, je me tiens éloigné de l'aimé. Il sent que ça ne va pas, s'approche, s'inquiète, demande. Je nie - je dis que ce n'est pas grave. Il insiste, il revient à la charge. Alors je m'explique: je me suis préparé à la séparation; ce mariage est pour moi à la fois un joie et une tristesse. Je ne savais pas que je viendrais ici ce soir. Si je l'avais sû, je l'aurais refusé. ("Pourquoi tu n'as pas mis le costume?") Je voulais un temps de solitude. Mais l'aimé répond qu'il a maintenant souci pour moi, qu'il ne veut pas me voir dans la mélancolie. Il dit qu'il connaît mon visage, et qu'il y voit des fronces de colère.
On l'appelle ailleurs.
Discussion passionnée entre Nourredine Tabrha et Lotfi.
Soudain on vient me chercher. Quoi, où, pourquoi? Je suis introduit chez les femmes pour être présenté. Émotion, les yeux baissés. Puis peu à peu on parle, grâce aussi à la tante de Hammanour, femme joyeuse, rieuse, maîtresse femme apparemment. Rires. On me demande de jouer la guitare. Je choisis pour Hammanour les jeux interdits, pour Baya "Si tu n'existais pas", et pour tous "Aïcha". Succès. Silence. La glace est brisée. J'ai réussi ma crise de jalousie. J'ai su gagner l'aimé, et lui a su me regagner, me reconquérir, ce qui n'était pas certain d'avance. Un bel échange qui nous situe comme je le souhaitais.
Il y a entre nous quelque chose du vieux couple que j'adore! J'ai été touché hier d'être vite compris: me voyant avec une cigarette, l'aimé a dit en arabe "c'est de la jalousie". Belle sensibilité qui m'a tout de suite perçu. Heureux que le message soit bien passé, d'une façon que lui seul pouvait lire, et il l'a su. Heureux de ma jalousie, qui est un signe d'amour et d'attachement. Il a su le lire, il est venu me reconquérir. Maintenant on verra le rôle de sa femme: si elle est finaude (ce qui est probable) elle percevra l'enjeu et voudra m'écarter? Pas sûr. On verra. Elle, je l'aime déjà. Je le renvoie toujours vers elle pour toute décision.
...
Samedi 1er janvier 2005
Rhoma veut épouser une jeune femme de bientôt 19 ans, lui qui en a peut-être 36/37 ? Elle n'a pas l'air opposée puisqu'elle a appelé hier soir.
Tant de familles ici dans lesquelles le mari est vieux (comme le père de Hammanour) ou mort (comme le père de Rhoma). Veuvage précoce donc, où les fils apprennent à être responsables. Ils apprennent que la femme il faut la protéger. Le père est un sage, vieux, plus qu'un jeune compagnon de jeux...
Dimanche 2
L'épouse ne m'a parlé ni en arabe ni en français. Est-elle si timide? Son regard n'est ni dur ni fuyant. Alors...?? Dîner chez Tabrha. Bonnes nouvelles de Youssef. J'espère le rencontrer demain. Mais pourquoi cette passion pour les artistes? On trouve auprès d'artistes quelque chose de la vérité. Il y a dans l'art l'un des visages de la vérité. On peut contempler dans l'art... la dimension esthétique de la vérité, du "rendre compte" du réel. Il faudrait élucider le rapport entre le réel et la vérité.
Mardi.
Solitude de Saïd! Huit ans à Doulcen, au bled. Beaucoup travaillé comme prof + aux champs + au commerce! Six ans ici, pour fuir les ragots et trouver un peu plus de civilisation.
Comment se marier... il estime que son statut d'enseignant lui interdit de rencontrer une fille pour faire des projets. Il en a une en tête: elle est en quatrième année, il ne connaît ni son nom ni son prénom, mais elle lui a fait bonne impression en abaissant les yeux après un premier échange de regards. Maigres fondations pour bâtir un avenir !
Toute sa vie est en attente d'une femme. Mais la correction veut qu'il n'aie pas la grossièreté d'en chercher une... Solitude!
Les époux sont chez eux, émus et occupés l'un à l'autre. Je lutte contre la déception, la rancoeur. Je conduis mon coeur sur des chemins de compréhension. Je dirige mon âme à me réjouir pour eux, là où mon émotion irait à la jalousie. Sûrrement Hammanour est confondu en gratitude - une double gratitude envers Baya, envers Dieu, envers moi, envers tous ceux qui ont contribué à ce bonheur dont il se gave maintenant. Il me reviendra gêné, cherchant à me couvrir de cadeaux idiots. Il me faudra ne rien refuser de sa générosité, de la laisser s'exprimer. Je veux aussi ne rien laisser qui ouvre à des reproches - reproches de mélancolie, de distance, de ne pas entrer dans leur joie. Au contraire, je serai souriant et félicitant.
Jeudi 6
Soirée à Aïn Naga avec et chez Yacine Meftah - fils ainé qui a autorité sur tout la famille. Petit homme doux à la voix perchée, ingénieur qui travaille depuis un an à Hassi Messaoud, champ pétrolifère. Son père est fier de lui. Yacine aime sa famille plus que tout je crois, et son bled. Il n'a de cesse d'y revenir. C'est ce que lui permet son boulot: un mois de travail intensif - 12 heures, studio, valet de chambre... suivi d'un long congé.
Mariage de l'aimé avec Baya.
Oh comme il aime sa femme! Ils n'auront pas été longs à s'aimer de tout le long de leur corps. C'est bien.
C'est moi qui ai payé le mariage. J'en suis content.
Un jour Hammanour m'appelle.
- Je voudrais ton avis car tu est mon grand-frère. Le patron du labo de Bamako me propose à nouveau de travailler pour lui. Je suis tenté.
- Pourquoi ?
- Pour économiser, pour payer le mariage. C'est cher tu sais!
- Oui mais tu es marié maintenant, même si c'est devant l’imam et pas encore devant tout le monde, tu est marié. Tu ne peux pas laisser ta femme. Ta place est auprès d'elle. Tu peux l'emmener avec toi à Bamako ?
- Oh non. Pour deux raisons: la première c'est qu'il faut un endroit pour nous. Une simple chambre ne suffit pas. La deuxième c'est que le mariage n'est pas officiel et je ne peux pas faire contre: c'est la tradition, on ne peut pas faire autrement.
- Mais Baya, elle dit quoi ?
- Elle ne voudrait pas que j'y aille, mais il faut bien...
- Donc ce sont uniquement des raisons d'argent : tu y vas uniquement pour l'argent ? Alors il ne faut pas y aller. Ta place est auprès de ta femme.
- D'accord je te rappelle ce soir.
...
- Allo? C'est Hammanour. J'ai parlé avec Baya, elle est d'accord avec toi.
- Hammanour, je voudrais savoir, un mariage ça coûte combien ?
- les bijoux 8 millions, mais on peut les emprunter et les rendre. La dot, 5 millions. La chambre, 5 millions. La fête, 5 millions.
- Hammanour je vous donne mille euros (onze millions Da)
- ... (silence) ... Je sais pas quoi dire...
- Je ne veux pas que l'argent vous empêche de vous marier. Je vous donne mille euros. Je ne veux pas que tu laisses ta femme pour partir à Bamako chercher de l'argent. Tu en parles à Baya ?
- C'est très gentil. Je vais lui en parler.
Comment envoyer cet argent ? Je contacte Western Union (très cher) puis la Poste (importante commission). C'est Hammanour qui me donne la solution : ça y est j'ai reçu l'argent, et quelqu'un viendra te trouver à Marseille, et tu lui donneras l'argent.
- Combien tu as eu ?
- Onze millions (c'est le meilleur taux, celui du black).
Et en effet plusieurs semaines après, je savais que je devais trouver un jeune Saïd qui avait mon numéro de portable. On s'est entendus pour un rendez-vous à la Timone (Casino). Il avait l'air de connaître Marseille. Clio blanche. J'ai vu arriver un jeune arabe looké - survêt blanc, fin collier de barbe, cheveux très courts, lunettes fumées. Gentil, un peu méfiant peut-être?
Je monte à l'arrière. Ils sont deux, lui est passager. Remise d'argent, je remercie pour leur service. Je descends.
Les banques n'ont rien touché. Tout sur la confiance, la parole, et rien selon les règles et garanties
occidentales. Le meilleur taux qu'on puisse trouver, et le mariage qui devient possible. Hamdulillah!
...
En route donc vers Batna puis Biskra, pour assister au mariage de l'aimé. Dieu comme j'ai pu être heureux de l'aimer! et souffrir de ne plus l'aimer ! Comme j'ai pu écrire des pages mordantes, acerbes ! Mais le charme agit toujours; il suffit qu'il appelle, qu'il me regarde, et je l'aime à nouveau.
Il aime Baya. Le voilà tout à fait heureux et amoureux.
Cette découverte légitime de tout le long de leurs corps, de toute la nudité de leurs peaux, de toute la flamme de leur émotion, de leur désir fort... fort! Les voilà emportés par cet ouragan, et par leur projet de famille.
Cette possibilité qui s'ouvre après trop d'attente et de frustration, son sexe fébrile cherchant abri en elle, leurs poils jamais touchés, jamais caressés, enfin sous la main de l'autre, ses mains sur ses seins, les caressant, les découvrant. Ses mains sur ses fesses fermes, rondes, poilues. Cette taille fine, ce ventre plat, cette cambrure! Ses cuisses fines contre ses cuisses musclées, fermes. Cette fièvre qui les saisit, que rien ne peut arrêter. Cette envie de recommencer dès le soir, et la confiance qui grandit entre eux, se donnant l'un à l'autre ils se compromettent et se lient.
Une union se célèbre sans témoins, ciment concret de leur vie future. La parole entre eux, les projets, les bêtises. L'inquiétude, la honte qu'il faut cacher. Un destin partagé qui construit une joie immense.
La maturation a commencé. Ils veulent tout assumer, ils veulent construire ce qu'ils ont engagé.
Ce sera un mariage heureux. Enfin ils pourront s'aimer chez eux, sans que rien ne leur soit interdit. Ils pourront jouer des variations sur peau, ils pourront s'aimer longtemps, se tenir chaudement l'un contre l'autre. Elle est si heureuse. Elle est comblée. Lui aussi.
...
Voilà, le mariage est passé. Je me suis beaucoup ennuyé. Comment pouvait-il en être autrement? J'ai essayé de sourire, de plaisanter. Souvent mes pensées étaient ailleurs. J'étais souvent comme ballotté par les étapes du mariage, ne sachant jamais ce qui devrait se produire ni pourquoi on attendait.
Bien sûr j'ai fait quelques gaffes, par exemple en prononçant tout haut le nom de Baya - ce qu'il ne faut jamais faire. La femme est un trésor caché et qui doit le rester. Son nom doit rester tu.
On retrouve là l'un des grands fondamentaux de l'idée d'idéal caché - masqué - protégé. Comme Dieu: inconnaissable, ineffable, dont le nom est imprononçable. Telle le femme: chercher à la voir c'est déjà voler son éclat et ternir le trésor. Le trésor est d'autant plus précieux qu'il est éloigné, secret, caché. On est en pleine mythologie de la femme, dans sa représentation. Or nous savons la valeur de l'esthétique, elle rend la vie belle et possible.
La femme est respectée et cachée comme on le fait avec Dieu. C'est aussi une façon de ne pas entrer dans le réel. C'est toute une société qui est ainsi fondée dans le goût pour la poésie, l'imaginaire, le caché-secret.
Mardi fut une drôle de journée avec Hammanour: un festival d'inorganisation, de paresse et d'immaturité. Le plus drôle c'est que je m'y suis fait sans colère: c'était son moment, et je décidais de le laisse faire - je devrais dire "de laisser ne pas se faire". Ce jeune crétin branleur (l'aimé) comptait sur une hypothétique R25 pour nous transporter tout le jour dans nos courses à Biskra: matelas - dettes à recouvrer - costume - produits Dove etc... Toute la matinée s'est écoulée, nous voyant dans l'indécision en attendant cette voiture que jamais l'aimé n'avait réservée. Passage chez ses parents, puis chez lui (belles peintures au mur). Puis il s'est tourné vers son frère Lotfi pour lui procurer un "express" avec lequel il y avait à transporter le mouton (prononcer "le moto") et plusieurs cageots de légumes.
De nouveau nous avons attendu l'express, puis on est allés livrer chez Baya. Ensuite c'est Messaoud - beau visage, 30 ans - qui a continué avec l'express à nous piloter: Matelas, costume. Les achats n'ont été faits que le lendemain. J'ai été amusé d'assister à la nullité de l'aimé: peut-être pour brûler les derniers germes de jalousie en moi? Besoin de contempler l'aimé dans ses moindres côtés, pour ne pas regretter, pour ne pas fondre en larmes d'abandon.
Autre épreuve: rencontrer Baya, cachée, bâchée, muette et rougissante, moi qui lui souhaitais une partenaire mûre... On verra. Je ne suis pas certain de mon comportement s'il me faut subir la non-rencontre. Et si je partais à Adrar, chez Philippe? Souvent ici j'ai envie de partir...
...
- Abdelmoumen, le tête dans le keffieh, le sourire gêné mais ému.
- Zizou à qui l'on commande toujours fais-ci, fais-ça. Tête brûlée mais il était bien là pour faire ce qu'on lui disait.
- Yahia absent, fuyant, comme d'habitude,
- Lotfi, Toumerte, actifs, Toumerte et son air triste, Lotfi élégant, sérieux. Vraiment, l'élégance n'est pas propre à un milieu social. On trouve des élégants dans tous les milieux, et des négligés aussi.
Pourquoi suis-je revenu, moi qui avais déjà observé à peu près tout ce que j'écris cette fois? Je suis revenu par ce qu'il m'en a prié, parce que j'ai été charmé de ses appels, de sa confiance, parce que c'est lui qui a fait en moi ce passage du désamour à l'amitié. Enfin parce que je l'aime, et que le sentiment se moque des raisonnements objectifs.
...
Je me pose beaucoup la question d'investir, c'est à dire d'acheter un appartement. Ce serait donc pour y venir régulièrement, et peut-être pour ma retraite, ou pour une vie en alternance ?
Il y a ici des artistes, les amis, encore faut-il voir comment ça va tourner lorsqu'ils auront charge de famille? Il y a aussi l'importance de la vie amicale - masculine - lorsque l'homme s'ennuie avec sa femme ou à la maison. C'est alors que commence la création artistique, l'entreprise;
Ici à Siki Okba? Non. A Biskra peut-être, mais je serais alors très dépendant des amis. Et toujours cette envie de maison, de terrasse!
C'est maintenant l'heure de la grande prière. Sur la terrasse Makhloufi, me parviennent les vociférations des prêcheurs. Dieu veut ceci, et ne veut pas cela. Faites ainsi et vous aurez des points.
Les larmes viennent peu à peu, à travers un sentiment de bouderie. Envie de bouder l'aimé, envie de me refuser: de quitter le repas, de dire des choses... "Je ne reviendrai pas - la commande de tableaux est annulée - Tu aimes surtout mon argent et ma générosité."
Voilà les larmes d'amour, les larmes de mon amour qui ne sait plus où se poser, qui longtemps se posait sur l'aimé - mais l'aimé s'est marié hier.
Claquer la porte en sorte de "Je t'aime". Et me tourner moi aussi vers la créativité pour exister, pour respirer, pour expirer.
...
Vendredi soir
Comment me suis-je laissé emmener chez sa famille, moi qui ne le voulais pas?? Quiproquo sur la destination. Je croyais que nous aurions un dîner des proches, chez les mariés. Je m'en suis fait une joie lorsqu'on me l'a annoncé. J'ai préparé la guitare, un cadeau. Et puis en route la surprise, le désastre: nous n'allons pas chez Hammanour, mais dans sa famille... ce qui signifie le protocole et la séparation, ce qui signifie qu'on va manger et c'est tout, et qu'il y aura à peine une apparition de la mariée, une apparition convenue et empreinte de la rougissante timidité de bon ton.
Je tire la gueule au maximum. Je n'ouvre pas la bouche, je ne regarde personne, je mange à peine, je me tiens éloigné de l'aimé. Il sent que ça ne va pas, s'approche, s'inquiète, demande. Je nie - je dis que ce n'est pas grave. Il insiste, il revient à la charge. Alors je m'explique: je me suis préparé à la séparation; ce mariage est pour moi à la fois un joie et une tristesse. Je ne savais pas que je viendrais ici ce soir. Si je l'avais sû, je l'aurais refusé. ("Pourquoi tu n'as pas mis le costume?") Je voulais un temps de solitude. Mais l'aimé répond qu'il a maintenant souci pour moi, qu'il ne veut pas me voir dans la mélancolie. Il dit qu'il connaît mon visage, et qu'il y voit des fronces de colère.
On l'appelle ailleurs.
Discussion passionnée entre Nourredine Tabrha et Lotfi.
Soudain on vient me chercher. Quoi, où, pourquoi? Je suis introduit chez les femmes pour être présenté. Émotion, les yeux baissés. Puis peu à peu on parle, grâce aussi à la tante de Hammanour, femme joyeuse, rieuse, maîtresse femme apparemment. Rires. On me demande de jouer la guitare. Je choisis pour Hammanour les jeux interdits, pour Baya "Si tu n'existais pas", et pour tous "Aïcha". Succès. Silence. La glace est brisée. J'ai réussi ma crise de jalousie. J'ai su gagner l'aimé, et lui a su me regagner, me reconquérir, ce qui n'était pas certain d'avance. Un bel échange qui nous situe comme je le souhaitais.
Il y a entre nous quelque chose du vieux couple que j'adore! J'ai été touché hier d'être vite compris: me voyant avec une cigarette, l'aimé a dit en arabe "c'est de la jalousie". Belle sensibilité qui m'a tout de suite perçu. Heureux que le message soit bien passé, d'une façon que lui seul pouvait lire, et il l'a su. Heureux de ma jalousie, qui est un signe d'amour et d'attachement. Il a su le lire, il est venu me reconquérir. Maintenant on verra le rôle de sa femme: si elle est finaude (ce qui est probable) elle percevra l'enjeu et voudra m'écarter? Pas sûr. On verra. Elle, je l'aime déjà. Je le renvoie toujours vers elle pour toute décision.
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Samedi 1er janvier 2005
Rhoma veut épouser une jeune femme de bientôt 19 ans, lui qui en a peut-être 36/37 ? Elle n'a pas l'air opposée puisqu'elle a appelé hier soir.
Tant de familles ici dans lesquelles le mari est vieux (comme le père de Hammanour) ou mort (comme le père de Rhoma). Veuvage précoce donc, où les fils apprennent à être responsables. Ils apprennent que la femme il faut la protéger. Le père est un sage, vieux, plus qu'un jeune compagnon de jeux...
Dimanche 2
L'épouse ne m'a parlé ni en arabe ni en français. Est-elle si timide? Son regard n'est ni dur ni fuyant. Alors...?? Dîner chez Tabrha. Bonnes nouvelles de Youssef. J'espère le rencontrer demain. Mais pourquoi cette passion pour les artistes? On trouve auprès d'artistes quelque chose de la vérité. Il y a dans l'art l'un des visages de la vérité. On peut contempler dans l'art... la dimension esthétique de la vérité, du "rendre compte" du réel. Il faudrait élucider le rapport entre le réel et la vérité.
Mardi.
Solitude de Saïd! Huit ans à Doulcen, au bled. Beaucoup travaillé comme prof + aux champs + au commerce! Six ans ici, pour fuir les ragots et trouver un peu plus de civilisation.
Comment se marier... il estime que son statut d'enseignant lui interdit de rencontrer une fille pour faire des projets. Il en a une en tête: elle est en quatrième année, il ne connaît ni son nom ni son prénom, mais elle lui a fait bonne impression en abaissant les yeux après un premier échange de regards. Maigres fondations pour bâtir un avenir !
Toute sa vie est en attente d'une femme. Mais la correction veut qu'il n'aie pas la grossièreté d'en chercher une... Solitude!
Les époux sont chez eux, émus et occupés l'un à l'autre. Je lutte contre la déception, la rancoeur. Je conduis mon coeur sur des chemins de compréhension. Je dirige mon âme à me réjouir pour eux, là où mon émotion irait à la jalousie. Sûrrement Hammanour est confondu en gratitude - une double gratitude envers Baya, envers Dieu, envers moi, envers tous ceux qui ont contribué à ce bonheur dont il se gave maintenant. Il me reviendra gêné, cherchant à me couvrir de cadeaux idiots. Il me faudra ne rien refuser de sa générosité, de la laisser s'exprimer. Je veux aussi ne rien laisser qui ouvre à des reproches - reproches de mélancolie, de distance, de ne pas entrer dans leur joie. Au contraire, je serai souriant et félicitant.
Jeudi 6
Soirée à Aïn Naga avec et chez Yacine Meftah - fils ainé qui a autorité sur tout la famille. Petit homme doux à la voix perchée, ingénieur qui travaille depuis un an à Hassi Messaoud, champ pétrolifère. Son père est fier de lui. Yacine aime sa famille plus que tout je crois, et son bled. Il n'a de cesse d'y revenir. C'est ce que lui permet son boulot: un mois de travail intensif - 12 heures, studio, valet de chambre... suivi d'un long congé.
dimanche 25 décembre 2016
Fiançailles à Biskra
Chroniques d'Algérie - décembre 2007
Fiançailles de Rhoma avec la famille Wamane de Biskra.
Alors que je suis encore à Constantine, je reçois un appel de Rhoma me priant d'avancer mon arrivée à Biskra car la date des fiançailles est devancée d'un jour. Un oncle doit repartir. Il me faudra donc voyager le 25 et prendre congé de mes amis/hôtes jésuites.
Au matin, Georges Carlioz est occupé à différentes courses, ce qui me laisse le temps d'écrire aux Chaudoreille. Il aura tout de même le temps de me déposer à la gare routière et de me mettre dans un taxi pour Batna. Route rapide dans une Peugeot Expert récente. Peu de trafic. A Batna, comme trois autres voyageurs de ce taxi, je dois trouver une voiture pour Biskra. Il n'y en a pas. Ils m'invitent à aller vers les bus. Or arrive un taxi pour Biskra. Nous courons pour être les premiers. Ça marche. Voyant mes deux sacs, le chauffeur réclamera une rallonge. Ça fera 200 Da. D'accord. A Biskra, taxi vers l'Alia, chez Saïd.
Retrouvailles chaleureuses. Sa maison est bien changée, décorée, tapissée. Je le félicite. Hammanour téléphone. Il m'attend chez lui. Je suis mieux chez Saïd qu m'a installé dans l'appartement de sa tante, à l'étage inférieur. Hammanour nous rejoint au café, et nous passons ensemble la soirée. Il est entendu que nous allons le lendemain à Sidi Okba à 9h chez Rhoma pour ses fiançailles.
Au matin nous n'aurons même pas à attendre le bus, car une voiture s'arrête en voyant Hammanour , c'est le cousin de sa mère. Nous frôlons l'accident dans un freinage d'urgence. Peur, mais sans heurt. On pose les sacs chez Hammanour. Sa femme et sa fille sont à Biskra (dans la famille de Baya). Arrivés chez Rhoma, bien ponctuels... il n'y est pas! il est allé faire trois courses alimentaires. Nous l'attendons au café et bavardons avec le maire adjoint.
Le cortège se prépare pour partir à Biskra. Plusieurs voitures, l'oncle, le frère, le cousin, l'ami, cinq voitures dont seulement une pour les trois femmes - la maman et deux sœurs. A Biskra nous entrons en passant une simple porte. La pièce est grande, haute, toute de faïences. Il y a du monde assis déjà, de vieux, des jeune. Rachid le frère de Rhoma conduira les négociations pour son frère. Le notaire, comme les autres, est assis sur un matelas. Autour de lui se rassemblent ceux qui signeront le contrat de mariage. Les pièces d'identité, les documents, tout converge vers le notaire. Plusieurs personnes seront appelées pour la discussion, dont Rhoma. On se met d'accord. Une grosse liasse de billets change de mains pour aboutir chez la fiancée.
Le notaire prend la parole pour un discours qui spécifie les engagements notariés. Puis tous joignent les mains tandis qu'il poursuit par la prière. L'assemblée ponctue par des Amîn auxquels je me joins. Bénédictions et actions de grâces. Chaque fois que le prophète est mentionné, on approuve Béni soit son nom - sur lui la paix.
Après la prière on distribue des bonbons et cacahuètes dans des boîtes en plastique et couvercle doré. Rhoma m'a confié un appareil photo pour prendre tout le monde en souvenir. Cela me met au centre de l'assemblée, et le notaire ne manquera pas de m'adresser devant tous un remerciement appuyé. Moi qui débarque et ne suis rien de plus qu'un ami, me voici mis à l'honneur au beau milieu d'une alliance entre deux familles. Je suis béni. La haut à l'étage éclatent quelques youyous. On les aura prévenus de la fin de la cérémonie.
Une fois encore j'ai pu mesurer combien un mariage est un acte de lien social et familial. Je crois comprendre que la famille Wamane est une grande famille de Biskra, par le nombre et par la réussite. C'est une bonne alliance pour Rhoma. Dans cette cérémonie, c'est honorer l'époux que de l'entourer. Il apparaît ainsi paré de ses amis, comme autant de valeurs et estimes qui lui sont attachées. Je suis heureux d'en être, et surpris du poids de ma présence. Dieu soit loué.
Baya
Baya ne viendra pas partager le repas chez Saïd et son épouse Manal. J'ai bien essayé de l'en convaincre, en avançant que la grossesse de Manal l'oblige au repos et qu'elle ne peut pas préparer de repas. Il faut donc prendre soin d'eux, si possible en leur portant le repas. Baya approuve. C'est l'occasion pour moi de préparer un cake aux olives. Certains ingrédients sont interdits: le jambon et le vin. On les remplacera par du thon et de l'huile d'olive. Tant qu'à faire on en prépare deux, un pour apporter, l'autre pour goûter. Tandis que nous sommes en cuisine, je poursuis ma proposition d'aller déjeuner à Biskra chez Saïd et Manal, car Baya n'a pas encore dit oui. Elle n'est pas emballée par le projet d'y aller.
Peu à peu je comprends qu'elle vit assez mal le fait de ne pas pouvoir recevoir chez elle. "Je n'ai pas de salon, je n'ai pas de maison, c'est à moi de recevoir Saïd et Manal, mais sans salon je ne peux pas, je ne me sens pas ici chez moi. Je me suis fait la promesse de ne plus recevoir ni accepter une invitation tant que je n'aurai pas de maison." J'ai beau argumenter que Manal ne peut pas se déplacer, rien n'y fait. Je comprends que c'est pour elle une honte et une torture que de se trouver ches les autres, dans une maison bien à eux. C'est un fer tourné dans la plaie, qui lui rappelle sans cesse sa situation indigne. J'ai dû vendre mes bijoux, mes parures pour payer les dettes. Je n'aime pas me montrer faible. Entre mon mari et mes amis, j'ai choisi mon mari. Dans sa promesse, Baya a choisi de se couper de ses amis. Elle cultive sa honte et ses conséquences. Comme puis-je l'approuver ? Je ne peux qu'écouter et comprendre, mais je la trouve fort marquée par les sirennes du matérialisme maison-voiture. Preuve que ce n'est pas propre à la culture occidentale. Je suis attristé que Baya boive jusqu'à la lie le jus amer de ses propres exigences. Elle avait sans doute rêvé autre chose.
Pourtant, ma présence acceptée, son hospitalité à mon égard est bien une ouverture dans sa solitude. Une chambre a été mise à ma disposition, je vais librement dans la maison sans qu'elle se cache. C'est ainsi que je sais que je suis désormais compté comme un membre de la famille, un frère. C'est aussi un assouplissement dans la rude promesse que Baya s'était faite. Elle n'est donc pas tout à fait fermée à recevoir. Je prie pour que son ostracisme choisi se fissure. Saïd et Manal sont vraiment des amis. J'espère qu'ils seront l'exception à la règle. Ce n'est pas fait, j'espère seulement.
Avec Hammanour et Baya nous avons longuement évoqué les jalousies dont ils sont l'objet. Il vivent très mal l'hypocrisie, l'étroitesse d'esprit, le jugement qu'ils perçoivent. Plusieurs anecdotes viennent illustrer la pression qu'ils ressentent. Réflexions à propos de la première chose c'est la maison. Mais ils n'ont pas un sou d'avance. La gestion est maintenant remise à Baya qui donne à Hammanour au jour le jour. Ils voudraient partir ailleurs, se libérer de ce contexte dans lequel ils ne voient aucun avenir, mais au contraire passe-droits et ragots.
Je fais remarquer à Hammanour qu'il n'est pas très ponctuel au labo: absentéïsme fréquent et sans aucun scrupule, comme bien d'autres. Puisque tous le font, comment tenir bon ? Beaucoup d'algériens portent un jugement sévère sur leur société, nourrissant la dévalorisation et les complexes d'infériorité. Pourtant ils ne font absolument pas le lien avec les comportements individuels, je pense à la gestion financière, au rapport au travail, à la parole donnée, à la ponctualité. Ces comportements lorsqu'il sont généralisés, sont une plaie pour le pays, mais chacun se justifie par des "puisque les autres le font aussi." Si tu travailles bien, c'est toi qui es perdant. Et chacun tire à lui la couverture, s'estimant dans son bon droit. Ce peuple n'est pas sorti d'affaire!! Il a pourtant de telles qualités!!
Alors que je suis encore à Constantine, je reçois un appel de Rhoma me priant d'avancer mon arrivée à Biskra car la date des fiançailles est devancée d'un jour. Un oncle doit repartir. Il me faudra donc voyager le 25 et prendre congé de mes amis/hôtes jésuites.
Au matin, Georges Carlioz est occupé à différentes courses, ce qui me laisse le temps d'écrire aux Chaudoreille. Il aura tout de même le temps de me déposer à la gare routière et de me mettre dans un taxi pour Batna. Route rapide dans une Peugeot Expert récente. Peu de trafic. A Batna, comme trois autres voyageurs de ce taxi, je dois trouver une voiture pour Biskra. Il n'y en a pas. Ils m'invitent à aller vers les bus. Or arrive un taxi pour Biskra. Nous courons pour être les premiers. Ça marche. Voyant mes deux sacs, le chauffeur réclamera une rallonge. Ça fera 200 Da. D'accord. A Biskra, taxi vers l'Alia, chez Saïd.
Retrouvailles chaleureuses. Sa maison est bien changée, décorée, tapissée. Je le félicite. Hammanour téléphone. Il m'attend chez lui. Je suis mieux chez Saïd qu m'a installé dans l'appartement de sa tante, à l'étage inférieur. Hammanour nous rejoint au café, et nous passons ensemble la soirée. Il est entendu que nous allons le lendemain à Sidi Okba à 9h chez Rhoma pour ses fiançailles.
Au matin nous n'aurons même pas à attendre le bus, car une voiture s'arrête en voyant Hammanour , c'est le cousin de sa mère. Nous frôlons l'accident dans un freinage d'urgence. Peur, mais sans heurt. On pose les sacs chez Hammanour. Sa femme et sa fille sont à Biskra (dans la famille de Baya). Arrivés chez Rhoma, bien ponctuels... il n'y est pas! il est allé faire trois courses alimentaires. Nous l'attendons au café et bavardons avec le maire adjoint.
Le cortège se prépare pour partir à Biskra. Plusieurs voitures, l'oncle, le frère, le cousin, l'ami, cinq voitures dont seulement une pour les trois femmes - la maman et deux sœurs. A Biskra nous entrons en passant une simple porte. La pièce est grande, haute, toute de faïences. Il y a du monde assis déjà, de vieux, des jeune. Rachid le frère de Rhoma conduira les négociations pour son frère. Le notaire, comme les autres, est assis sur un matelas. Autour de lui se rassemblent ceux qui signeront le contrat de mariage. Les pièces d'identité, les documents, tout converge vers le notaire. Plusieurs personnes seront appelées pour la discussion, dont Rhoma. On se met d'accord. Une grosse liasse de billets change de mains pour aboutir chez la fiancée.
Le notaire prend la parole pour un discours qui spécifie les engagements notariés. Puis tous joignent les mains tandis qu'il poursuit par la prière. L'assemblée ponctue par des Amîn auxquels je me joins. Bénédictions et actions de grâces. Chaque fois que le prophète est mentionné, on approuve Béni soit son nom - sur lui la paix.
Après la prière on distribue des bonbons et cacahuètes dans des boîtes en plastique et couvercle doré. Rhoma m'a confié un appareil photo pour prendre tout le monde en souvenir. Cela me met au centre de l'assemblée, et le notaire ne manquera pas de m'adresser devant tous un remerciement appuyé. Moi qui débarque et ne suis rien de plus qu'un ami, me voici mis à l'honneur au beau milieu d'une alliance entre deux familles. Je suis béni. La haut à l'étage éclatent quelques youyous. On les aura prévenus de la fin de la cérémonie.
Une fois encore j'ai pu mesurer combien un mariage est un acte de lien social et familial. Je crois comprendre que la famille Wamane est une grande famille de Biskra, par le nombre et par la réussite. C'est une bonne alliance pour Rhoma. Dans cette cérémonie, c'est honorer l'époux que de l'entourer. Il apparaît ainsi paré de ses amis, comme autant de valeurs et estimes qui lui sont attachées. Je suis heureux d'en être, et surpris du poids de ma présence. Dieu soit loué.
Baya
Baya ne viendra pas partager le repas chez Saïd et son épouse Manal. J'ai bien essayé de l'en convaincre, en avançant que la grossesse de Manal l'oblige au repos et qu'elle ne peut pas préparer de repas. Il faut donc prendre soin d'eux, si possible en leur portant le repas. Baya approuve. C'est l'occasion pour moi de préparer un cake aux olives. Certains ingrédients sont interdits: le jambon et le vin. On les remplacera par du thon et de l'huile d'olive. Tant qu'à faire on en prépare deux, un pour apporter, l'autre pour goûter. Tandis que nous sommes en cuisine, je poursuis ma proposition d'aller déjeuner à Biskra chez Saïd et Manal, car Baya n'a pas encore dit oui. Elle n'est pas emballée par le projet d'y aller.
Peu à peu je comprends qu'elle vit assez mal le fait de ne pas pouvoir recevoir chez elle. "Je n'ai pas de salon, je n'ai pas de maison, c'est à moi de recevoir Saïd et Manal, mais sans salon je ne peux pas, je ne me sens pas ici chez moi. Je me suis fait la promesse de ne plus recevoir ni accepter une invitation tant que je n'aurai pas de maison." J'ai beau argumenter que Manal ne peut pas se déplacer, rien n'y fait. Je comprends que c'est pour elle une honte et une torture que de se trouver ches les autres, dans une maison bien à eux. C'est un fer tourné dans la plaie, qui lui rappelle sans cesse sa situation indigne. J'ai dû vendre mes bijoux, mes parures pour payer les dettes. Je n'aime pas me montrer faible. Entre mon mari et mes amis, j'ai choisi mon mari. Dans sa promesse, Baya a choisi de se couper de ses amis. Elle cultive sa honte et ses conséquences. Comme puis-je l'approuver ? Je ne peux qu'écouter et comprendre, mais je la trouve fort marquée par les sirennes du matérialisme maison-voiture. Preuve que ce n'est pas propre à la culture occidentale. Je suis attristé que Baya boive jusqu'à la lie le jus amer de ses propres exigences. Elle avait sans doute rêvé autre chose.
Pourtant, ma présence acceptée, son hospitalité à mon égard est bien une ouverture dans sa solitude. Une chambre a été mise à ma disposition, je vais librement dans la maison sans qu'elle se cache. C'est ainsi que je sais que je suis désormais compté comme un membre de la famille, un frère. C'est aussi un assouplissement dans la rude promesse que Baya s'était faite. Elle n'est donc pas tout à fait fermée à recevoir. Je prie pour que son ostracisme choisi se fissure. Saïd et Manal sont vraiment des amis. J'espère qu'ils seront l'exception à la règle. Ce n'est pas fait, j'espère seulement.
Avec Hammanour et Baya nous avons longuement évoqué les jalousies dont ils sont l'objet. Il vivent très mal l'hypocrisie, l'étroitesse d'esprit, le jugement qu'ils perçoivent. Plusieurs anecdotes viennent illustrer la pression qu'ils ressentent. Réflexions à propos de la première chose c'est la maison. Mais ils n'ont pas un sou d'avance. La gestion est maintenant remise à Baya qui donne à Hammanour au jour le jour. Ils voudraient partir ailleurs, se libérer de ce contexte dans lequel ils ne voient aucun avenir, mais au contraire passe-droits et ragots.
Je fais remarquer à Hammanour qu'il n'est pas très ponctuel au labo: absentéïsme fréquent et sans aucun scrupule, comme bien d'autres. Puisque tous le font, comment tenir bon ? Beaucoup d'algériens portent un jugement sévère sur leur société, nourrissant la dévalorisation et les complexes d'infériorité. Pourtant ils ne font absolument pas le lien avec les comportements individuels, je pense à la gestion financière, au rapport au travail, à la parole donnée, à la ponctualité. Ces comportements lorsqu'il sont généralisés, sont une plaie pour le pays, mais chacun se justifie par des "puisque les autres le font aussi." Si tu travailles bien, c'est toi qui es perdant. Et chacun tire à lui la couverture, s'estimant dans son bon droit. Ce peuple n'est pas sorti d'affaire!! Il a pourtant de telles qualités!!
"En ce temps là, on achetait, on vendait, on se mariait."
Chroniques d'Algérie, avril 2006
Marseille-Batna ? Le vol est retardé à 21h10. Mais c'est un horaire qui ne permet pas à Hammanour de me ramener chez lui: trop tard, trop peur de rouler de nuit. Je ne suis pas certain que ce soit justifié mais bah !
C'est donc qu'il me faudra changer les projets. Je demande à être dérouté par Alger, puis Batna demain. Il y a bien un vol pour Biskra, mais il est complet. Il me faut batailler un peu auprès des dames d'Air Algérie, qui ne voient pas comment modifier un billet promo, sans modif ni remboursement. C'est finalement auprès du chef d'escale que j'obtiens d'être dérouté.
J'appelle Hammanour qui veut tout de même venir me chercher à Batna ! Puis je me mets à la recherche de Jean ou Jean-Marie pour leur demander l'hospitalité pour la nuit. Mais ça ne répond pas. J'essaye chez Loulou Fontugne : il est là, et il a du monde à déjeuner. Colette est là aussi ! rentrée depuis jeudi. Il m'attend chez lui vers 17h.
Vol sans histoire. Je suis, bien moins qu'au début, marqué par la situation : habitué de ces départs en Algérie, je remarque moins les vêtements, les comportements, les voyageurs. Tout me semble ordinaire, alors que tout m'était extraordinaire lors de mes premiers voyages ici !
Prendre le taxi depuis l'aéroport jusqu'à El Biar est tout de même redouté : il s'agit de ne pas me faire arnaquer. Je connais les prix : 500 Da environ, plus deux bagages. Je sais qu'on va essayer de me rouler. Et en effet quand j'annonce El Biar on me répond 1000 Da. C'est cher. "C'est le prix" "C'est normal". J'accepte sans trop résister, et le taxi m'emporte. Ici bien sûr on monte à l'avant.
Dans le centre d'Alger, embouteillage. Le chauffeur verrouille les portes par crainte des voleurs qui profitent de ces arrêts pour vous voler le sac dans la malle. Aérohabitat. Je paye, mais il me demande de le faire discrètement, derrière la voiture. Cette société est remplie de craintes... crainte d'être attaqué sur la route par un faux barrage, crainte des voleurs dans l'embouteillage, crainte d'être vu lorsqu'on paye le taxi !! Cette société est stigmatisée - peur des autres, peur de tout. Peurs souvent infondées, j'en suis convaincu.
Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu'il m'a fait ? (Psaume 115)
Comment rendrai-je aux algériens l'accueil dont je suis ici, sans cesse entouré, année après année ?
Mercredi 19.
De l'atelier, Hammanour fait appeler son ami taxi, Kamel, pour me conduire chez Saïd.
Arrivé ici, je trouve Houssam, qui a eu instruction de m'entourer. Il s'enquiert de savoir si j'ai mangé; descend faire chauffer les restes au micro-ondes, me rapport tout sur un plateau avec verre et couverts. Sa mère se propose de faire autre chose à manger... bref, quelle générosité de présence et de service !! Jamais nous autres français n'aurions de tels égards pour nos hôtes : on considérerait au contraire qu'il faut les laisser seuls et un peu tranquilles. C'est en effet ce que nous aimons: une part de solitude.
A peine suis-je entré que se présentent pour me saluer Abdullah 12a et Houssam 19a. Puis la maman depuis le pas de sa porte. Ces gens sont cultivés, asses occidentalisés, aisés. J'avais l'an passé visité leur appartement avec Saïd : tout à fait semblable à nos standards.
Leur voisinage avec Saïd est monté en amitié, au point que Saïd épousera la nièce de madame. Ils sont maintenant parents, et heureux de l'être. Très belle cellule familiale issue d'un voisinage respectueux.
Vendredi 21 avril 06 - mariage de la dernière soeur de Hammanour.
Nous attendons à Sidi Okba, la venue de la famille du marié. Les femmes chantent et youyoutent tandis que nous causons. Ils arrivent tard, avec sans doute quarante voitures ! Il y a quelque chose de l'enlèvement. Une tribu vient avec force pour emmener une jeune fille, et se l'intégrer comme épouse. C'est une alliance de clans. Lorsque nous arrivons à Biskra, nous trouvons quatre cavaliers (jeunes garçons) qui, habillés en guerriers arabes, nous précèdent. Ils tireront à blanc dans un fracas d'exposions bruyantes. Cette apparition de cavaliers m'évoque le rezzou, le rapt - ce qui n'est pas perçu comme aliénant mais comme intégrant.
Beaucoup de rapports humains ici se vivent sur le mode de l'alliance. Dans l'alliance il n'y a pas de comptabilité, rien de dû.
Joie du mariage : on célèbre le succès du rezzou. Feux de bengale.
Méditations -
Ce que je n'aime pas chez les vieux, défauts que je ne voudrais pas avoir :
- ils parlent trop, trop longtemps, et pour dire des choses qui n'intéressent qu'eux : des récits dont ils nous prennent à témoin. Ils cherchent à bien raconter, à suivre exactement le fil, à construire la parole pour qu'elle serve le point (in-intéressant) de leur récit. "Mon ami Paul Bosse-Platière..." Antoine Coulange et ses interventions enthousiastes, péremptoires, et intempestives.
- les vieux posent peu de questions. Ils ont assez vécu pour se nourrir encore de leur expérience. Mais en cela ils sont ennuyeux pour ceux qui sont en pleine expérience. Ils veulent nous aider à tirer le sens, à faire le choix... au pire ils ne cherchent rien d'autre qu'à goûter à nouveau un instant de leur propre vie.
- les vieux sont seuls et avides de dialogue. Ils nous reprochent notre absence, ne sont jamais rassasiés. Mais ils sont fiers, et ne vont pas mendier l'amitié, en cela ils avoueraient leur détresse, et lui donneraient plus encore de réalité.
En Algérie on trouve un sens marqué de l'obligation morale, du devoir.
Si quelqu'un surgit, on arrête le travail. Si Chaoukhi demande à Hammanour de mettre chez lui la moquette, il faut dire oui ("elle prend beaucoup de place"). Un ami passe en voiture, il nous dépose là où nous allons. Un invité est présent ? il faut lui tenir compagnie. C'est ainsi que ce matin j'ai dû ajourner la rencontre de Youssef parce qu'il y avait un enseignant, conseiller de Saïd, qu'il voulait me faire rencontrer.
Et puis il y a l'obligation de nourrir l'étranger. C'est ainsi que je suis souvent sollicité à manger chez Farid Tabrha, chez Hammanour dont l'épouse prépare les repas mais ne se montre pas.. Je suis souhaité chez Rhoma... il faudrait aller partout !
C'est se comporter noblement que d'offir un repas soigné, richement diversifié, viandes, crudités, sodas, chorba, zitoune, frittes, fruits, pain. C'est se comporter noblement que de faire pour l'hospitalité une dépense onéreuse et au dessus des moyens ordinaires de la famille. On est donc un peu dépassé par la générosité de l'accueil, par l'empressement du service. On est sans cesse sollicité à manger plus que de raison. C'et comme un honneur que de gaver l'invité.
Samedi 29
"On achetait, on vendait, on se mariait." raconte la bible (Luc 17 v28). Et en effet, ce sont ici des activités majeures; toute la vie s'organise autour de ces petites boutiques, souvent au pied des immeubles, qui vendent quelques articles de base. Comment en vivent-ils ?
Société traditionnelle
je rencontre souvent des jeunes qui adoptent les façons de l'ancienne génération : le jeudi s'habillent d'une ghandoura blanche, le soir se regroupent pour jouer aux dominos en frappant les pièces sur la table, tandis que non loin, des vieillards font de même, vêtus du chech et de la ghandoura. Je ne vois pas ici ce rejet des valeurs des vieux, comme on peut le voir chez nous. L'Islâam par exemple est très fortement adopté et véhiculé par les jeunes. Il est ciment de la société, cadre qui définit l'éthique et l'objectif.
Lundi 1er mai 2006 - Aéroport de Batna. Fin de séjour.
Raccompagné avec le 4x4 professionnel de Omar frère de Saïd. Trois frères qui font la route pour moi, 2h aller, 2h retour, après une nuit courte, et le dîner chez les voisins (bientôt cousins par alliance) de Saïd. Très bon séjour.
Lorsque chez Jean-Marie, je parlais de ce séjour, je cherchais de quelle façon je pourrais me rendre utile pour ce pays. Eh bien! comme frère croyant, je compte leur écrire une lettre pastorale, pour les appeler à la confiance, au travail, et à l'engagement. Je reprendrai la rhétorique orientale de Saint Paul, me mettant en avant, soulignant ma foi en Dieu - le Dieu unique - et les appelant au nom de Dieu à entrer dans le combat spirituel, le Jihad pour le peuple et pour le pays.
Après de multiples voyages ici, plusieurs années de rencontres, n'est-il pas temps que je me rende utile à ce pays? Un tel engagement sera une lumière pour ma vie.
- collaboration artistique, promotion culturelle Biskra-Marseille
- apprentissage de la langue
- rêvons un peu: double résidence Marseille & Biskra, poste d'enseignant à l'université de Biskra, beau loft en ville, gardé quotidiennement sous prétexte d'arroser les plantes, par un homme pour s'occuper de la cuisine, du ménage; réception tous les dimanches soir; musique et peinture, dialogues. Salon oriental, terrasse fleurie, paravents, aérateur plafonnier, tapis, cuisine, couchages, tableaux aux murs. Lieu de dialogues, lieu d'artistes.
C'est donc qu'il me faudra changer les projets. Je demande à être dérouté par Alger, puis Batna demain. Il y a bien un vol pour Biskra, mais il est complet. Il me faut batailler un peu auprès des dames d'Air Algérie, qui ne voient pas comment modifier un billet promo, sans modif ni remboursement. C'est finalement auprès du chef d'escale que j'obtiens d'être dérouté.
J'appelle Hammanour qui veut tout de même venir me chercher à Batna ! Puis je me mets à la recherche de Jean ou Jean-Marie pour leur demander l'hospitalité pour la nuit. Mais ça ne répond pas. J'essaye chez Loulou Fontugne : il est là, et il a du monde à déjeuner. Colette est là aussi ! rentrée depuis jeudi. Il m'attend chez lui vers 17h.
Vol sans histoire. Je suis, bien moins qu'au début, marqué par la situation : habitué de ces départs en Algérie, je remarque moins les vêtements, les comportements, les voyageurs. Tout me semble ordinaire, alors que tout m'était extraordinaire lors de mes premiers voyages ici !
Prendre le taxi depuis l'aéroport jusqu'à El Biar est tout de même redouté : il s'agit de ne pas me faire arnaquer. Je connais les prix : 500 Da environ, plus deux bagages. Je sais qu'on va essayer de me rouler. Et en effet quand j'annonce El Biar on me répond 1000 Da. C'est cher. "C'est le prix" "C'est normal". J'accepte sans trop résister, et le taxi m'emporte. Ici bien sûr on monte à l'avant.
Dans le centre d'Alger, embouteillage. Le chauffeur verrouille les portes par crainte des voleurs qui profitent de ces arrêts pour vous voler le sac dans la malle. Aérohabitat. Je paye, mais il me demande de le faire discrètement, derrière la voiture. Cette société est remplie de craintes... crainte d'être attaqué sur la route par un faux barrage, crainte des voleurs dans l'embouteillage, crainte d'être vu lorsqu'on paye le taxi !! Cette société est stigmatisée - peur des autres, peur de tout. Peurs souvent infondées, j'en suis convaincu.
Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu'il m'a fait ? (Psaume 115)
Comment rendrai-je aux algériens l'accueil dont je suis ici, sans cesse entouré, année après année ?
Mercredi 19.
De l'atelier, Hammanour fait appeler son ami taxi, Kamel, pour me conduire chez Saïd.
Arrivé ici, je trouve Houssam, qui a eu instruction de m'entourer. Il s'enquiert de savoir si j'ai mangé; descend faire chauffer les restes au micro-ondes, me rapport tout sur un plateau avec verre et couverts. Sa mère se propose de faire autre chose à manger... bref, quelle générosité de présence et de service !! Jamais nous autres français n'aurions de tels égards pour nos hôtes : on considérerait au contraire qu'il faut les laisser seuls et un peu tranquilles. C'est en effet ce que nous aimons: une part de solitude.
A peine suis-je entré que se présentent pour me saluer Abdullah 12a et Houssam 19a. Puis la maman depuis le pas de sa porte. Ces gens sont cultivés, asses occidentalisés, aisés. J'avais l'an passé visité leur appartement avec Saïd : tout à fait semblable à nos standards.
Leur voisinage avec Saïd est monté en amitié, au point que Saïd épousera la nièce de madame. Ils sont maintenant parents, et heureux de l'être. Très belle cellule familiale issue d'un voisinage respectueux.
Vendredi 21 avril 06 - mariage de la dernière soeur de Hammanour.
Nous attendons à Sidi Okba, la venue de la famille du marié. Les femmes chantent et youyoutent tandis que nous causons. Ils arrivent tard, avec sans doute quarante voitures ! Il y a quelque chose de l'enlèvement. Une tribu vient avec force pour emmener une jeune fille, et se l'intégrer comme épouse. C'est une alliance de clans. Lorsque nous arrivons à Biskra, nous trouvons quatre cavaliers (jeunes garçons) qui, habillés en guerriers arabes, nous précèdent. Ils tireront à blanc dans un fracas d'exposions bruyantes. Cette apparition de cavaliers m'évoque le rezzou, le rapt - ce qui n'est pas perçu comme aliénant mais comme intégrant.
Beaucoup de rapports humains ici se vivent sur le mode de l'alliance. Dans l'alliance il n'y a pas de comptabilité, rien de dû.
Joie du mariage : on célèbre le succès du rezzou. Feux de bengale.
Méditations -
Ce que je n'aime pas chez les vieux, défauts que je ne voudrais pas avoir :
- ils parlent trop, trop longtemps, et pour dire des choses qui n'intéressent qu'eux : des récits dont ils nous prennent à témoin. Ils cherchent à bien raconter, à suivre exactement le fil, à construire la parole pour qu'elle serve le point (in-intéressant) de leur récit. "Mon ami Paul Bosse-Platière..." Antoine Coulange et ses interventions enthousiastes, péremptoires, et intempestives.
- les vieux posent peu de questions. Ils ont assez vécu pour se nourrir encore de leur expérience. Mais en cela ils sont ennuyeux pour ceux qui sont en pleine expérience. Ils veulent nous aider à tirer le sens, à faire le choix... au pire ils ne cherchent rien d'autre qu'à goûter à nouveau un instant de leur propre vie.
- les vieux sont seuls et avides de dialogue. Ils nous reprochent notre absence, ne sont jamais rassasiés. Mais ils sont fiers, et ne vont pas mendier l'amitié, en cela ils avoueraient leur détresse, et lui donneraient plus encore de réalité.
En Algérie on trouve un sens marqué de l'obligation morale, du devoir.
Si quelqu'un surgit, on arrête le travail. Si Chaoukhi demande à Hammanour de mettre chez lui la moquette, il faut dire oui ("elle prend beaucoup de place"). Un ami passe en voiture, il nous dépose là où nous allons. Un invité est présent ? il faut lui tenir compagnie. C'est ainsi que ce matin j'ai dû ajourner la rencontre de Youssef parce qu'il y avait un enseignant, conseiller de Saïd, qu'il voulait me faire rencontrer.
Et puis il y a l'obligation de nourrir l'étranger. C'est ainsi que je suis souvent sollicité à manger chez Farid Tabrha, chez Hammanour dont l'épouse prépare les repas mais ne se montre pas.. Je suis souhaité chez Rhoma... il faudrait aller partout !
C'est se comporter noblement que d'offir un repas soigné, richement diversifié, viandes, crudités, sodas, chorba, zitoune, frittes, fruits, pain. C'est se comporter noblement que de faire pour l'hospitalité une dépense onéreuse et au dessus des moyens ordinaires de la famille. On est donc un peu dépassé par la générosité de l'accueil, par l'empressement du service. On est sans cesse sollicité à manger plus que de raison. C'et comme un honneur que de gaver l'invité.
Samedi 29
"On achetait, on vendait, on se mariait." raconte la bible (Luc 17 v28). Et en effet, ce sont ici des activités majeures; toute la vie s'organise autour de ces petites boutiques, souvent au pied des immeubles, qui vendent quelques articles de base. Comment en vivent-ils ?
Société traditionnelle
je rencontre souvent des jeunes qui adoptent les façons de l'ancienne génération : le jeudi s'habillent d'une ghandoura blanche, le soir se regroupent pour jouer aux dominos en frappant les pièces sur la table, tandis que non loin, des vieillards font de même, vêtus du chech et de la ghandoura. Je ne vois pas ici ce rejet des valeurs des vieux, comme on peut le voir chez nous. L'Islâam par exemple est très fortement adopté et véhiculé par les jeunes. Il est ciment de la société, cadre qui définit l'éthique et l'objectif.
Lundi 1er mai 2006 - Aéroport de Batna. Fin de séjour.
Raccompagné avec le 4x4 professionnel de Omar frère de Saïd. Trois frères qui font la route pour moi, 2h aller, 2h retour, après une nuit courte, et le dîner chez les voisins (bientôt cousins par alliance) de Saïd. Très bon séjour.
Lorsque chez Jean-Marie, je parlais de ce séjour, je cherchais de quelle façon je pourrais me rendre utile pour ce pays. Eh bien! comme frère croyant, je compte leur écrire une lettre pastorale, pour les appeler à la confiance, au travail, et à l'engagement. Je reprendrai la rhétorique orientale de Saint Paul, me mettant en avant, soulignant ma foi en Dieu - le Dieu unique - et les appelant au nom de Dieu à entrer dans le combat spirituel, le Jihad pour le peuple et pour le pays.
Après de multiples voyages ici, plusieurs années de rencontres, n'est-il pas temps que je me rende utile à ce pays? Un tel engagement sera une lumière pour ma vie.
- collaboration artistique, promotion culturelle Biskra-Marseille
- apprentissage de la langue
- rêvons un peu: double résidence Marseille & Biskra, poste d'enseignant à l'université de Biskra, beau loft en ville, gardé quotidiennement sous prétexte d'arroser les plantes, par un homme pour s'occuper de la cuisine, du ménage; réception tous les dimanches soir; musique et peinture, dialogues. Salon oriental, terrasse fleurie, paravents, aérateur plafonnier, tapis, cuisine, couchages, tableaux aux murs. Lieu de dialogues, lieu d'artistes.
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