Marseille-Batna ? Le vol est retardé à 21h10. Mais c'est un horaire qui ne permet pas à Hammanour de me ramener chez lui: trop tard, trop peur de rouler de nuit. Je ne suis pas certain que ce soit justifié mais bah !
C'est donc qu'il me faudra changer les projets. Je demande à être dérouté par Alger, puis Batna demain. Il y a bien un vol pour Biskra, mais il est complet. Il me faut batailler un peu auprès des dames d'Air Algérie, qui ne voient pas comment modifier un billet promo, sans modif ni remboursement. C'est finalement auprès du chef d'escale que j'obtiens d'être dérouté.
J'appelle Hammanour qui veut tout de même venir me chercher à Batna ! Puis je me mets à la recherche de Jean ou Jean-Marie pour leur demander l'hospitalité pour la nuit. Mais ça ne répond pas. J'essaye chez Loulou Fontugne : il est là, et il a du monde à déjeuner. Colette est là aussi ! rentrée depuis jeudi. Il m'attend chez lui vers 17h.
Vol sans histoire. Je suis, bien moins qu'au début, marqué par la situation : habitué de ces départs en Algérie, je remarque moins les vêtements, les comportements, les voyageurs. Tout me semble ordinaire, alors que tout m'était extraordinaire lors de mes premiers voyages ici !
Prendre le taxi depuis l'aéroport jusqu'à El Biar est tout de même redouté : il s'agit de ne pas me faire arnaquer. Je connais les prix : 500 Da environ, plus deux bagages. Je sais qu'on va essayer de me rouler. Et en effet quand j'annonce El Biar on me répond 1000 Da. C'est cher. "C'est le prix" "C'est normal". J'accepte sans trop résister, et le taxi m'emporte. Ici bien sûr on monte à l'avant.
Dans le centre d'Alger, embouteillage. Le chauffeur verrouille les portes par crainte des voleurs qui profitent de ces arrêts pour vous voler le sac dans la malle. Aérohabitat. Je paye, mais il me demande de le faire discrètement, derrière la voiture. Cette société est remplie de craintes... crainte d'être attaqué sur la route par un faux barrage, crainte des voleurs dans l'embouteillage, crainte d'être vu lorsqu'on paye le taxi !! Cette société est stigmatisée - peur des autres, peur de tout. Peurs souvent infondées, j'en suis convaincu.
Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu'il m'a fait ? (Psaume 115)
Comment rendrai-je aux algériens l'accueil dont je suis ici, sans cesse entouré, année après année ?
Mercredi 19.
De l'atelier, Hammanour fait appeler son ami taxi, Kamel, pour me conduire chez Saïd.
Arrivé ici, je trouve Houssam, qui a eu instruction de m'entourer. Il s'enquiert de savoir si j'ai mangé; descend faire chauffer les restes au micro-ondes, me rapport tout sur un plateau avec verre et couverts. Sa mère se propose de faire autre chose à manger... bref, quelle générosité de présence et de service !! Jamais nous autres français n'aurions de tels égards pour nos hôtes : on considérerait au contraire qu'il faut les laisser seuls et un peu tranquilles. C'est en effet ce que nous aimons: une part de solitude.
A peine suis-je entré que se présentent pour me saluer Abdullah 12a et Houssam 19a. Puis la maman depuis le pas de sa porte. Ces gens sont cultivés, asses occidentalisés, aisés. J'avais l'an passé visité leur appartement avec Saïd : tout à fait semblable à nos standards.
Leur voisinage avec Saïd est monté en amitié, au point que Saïd épousera la nièce de madame. Ils sont maintenant parents, et heureux de l'être. Très belle cellule familiale issue d'un voisinage respectueux.
Vendredi 21 avril 06 - mariage de la dernière soeur de Hammanour.
Nous attendons à Sidi Okba, la venue de la famille du marié. Les femmes chantent et youyoutent tandis que nous causons. Ils arrivent tard, avec sans doute quarante voitures ! Il y a quelque chose de l'enlèvement. Une tribu vient avec force pour emmener une jeune fille, et se l'intégrer comme épouse. C'est une alliance de clans. Lorsque nous arrivons à Biskra, nous trouvons quatre cavaliers (jeunes garçons) qui, habillés en guerriers arabes, nous précèdent. Ils tireront à blanc dans un fracas d'exposions bruyantes. Cette apparition de cavaliers m'évoque le rezzou, le rapt - ce qui n'est pas perçu comme aliénant mais comme intégrant.
Beaucoup de rapports humains ici se vivent sur le mode de l'alliance. Dans l'alliance il n'y a pas de comptabilité, rien de dû.
Joie du mariage : on célèbre le succès du rezzou. Feux de bengale.
Méditations -
Ce que je n'aime pas chez les vieux, défauts que je ne voudrais pas avoir :
- ils parlent trop, trop longtemps, et pour dire des choses qui n'intéressent qu'eux : des récits dont ils nous prennent à témoin. Ils cherchent à bien raconter, à suivre exactement le fil, à construire la parole pour qu'elle serve le point (in-intéressant) de leur récit. "Mon ami Paul Bosse-Platière..." Antoine Coulange et ses interventions enthousiastes, péremptoires, et intempestives.
- les vieux posent peu de questions. Ils ont assez vécu pour se nourrir encore de leur expérience. Mais en cela ils sont ennuyeux pour ceux qui sont en pleine expérience. Ils veulent nous aider à tirer le sens, à faire le choix... au pire ils ne cherchent rien d'autre qu'à goûter à nouveau un instant de leur propre vie.
- les vieux sont seuls et avides de dialogue. Ils nous reprochent notre absence, ne sont jamais rassasiés. Mais ils sont fiers, et ne vont pas mendier l'amitié, en cela ils avoueraient leur détresse, et lui donneraient plus encore de réalité.
En Algérie on trouve un sens marqué de l'obligation morale, du devoir.
Si quelqu'un surgit, on arrête le travail. Si Chaoukhi demande à Hammanour de mettre chez lui la moquette, il faut dire oui ("elle prend beaucoup de place"). Un ami passe en voiture, il nous dépose là où nous allons. Un invité est présent ? il faut lui tenir compagnie. C'est ainsi que ce matin j'ai dû ajourner la rencontre de Youssef parce qu'il y avait un enseignant, conseiller de Saïd, qu'il voulait me faire rencontrer.
Et puis il y a l'obligation de nourrir l'étranger. C'est ainsi que je suis souvent sollicité à manger chez Farid Tabrha, chez Hammanour dont l'épouse prépare les repas mais ne se montre pas.. Je suis souhaité chez Rhoma... il faudrait aller partout !
C'est se comporter noblement que d'offir un repas soigné, richement diversifié, viandes, crudités, sodas, chorba, zitoune, frittes, fruits, pain. C'est se comporter noblement que de faire pour l'hospitalité une dépense onéreuse et au dessus des moyens ordinaires de la famille. On est donc un peu dépassé par la générosité de l'accueil, par l'empressement du service. On est sans cesse sollicité à manger plus que de raison. C'et comme un honneur que de gaver l'invité.
Samedi 29
"On achetait, on vendait, on se mariait." raconte la bible (Luc 17 v28). Et en effet, ce sont ici des activités majeures; toute la vie s'organise autour de ces petites boutiques, souvent au pied des immeubles, qui vendent quelques articles de base. Comment en vivent-ils ?
Société traditionnelle
je rencontre souvent des jeunes qui adoptent les façons de l'ancienne génération : le jeudi s'habillent d'une ghandoura blanche, le soir se regroupent pour jouer aux dominos en frappant les pièces sur la table, tandis que non loin, des vieillards font de même, vêtus du chech et de la ghandoura. Je ne vois pas ici ce rejet des valeurs des vieux, comme on peut le voir chez nous. L'Islâam par exemple est très fortement adopté et véhiculé par les jeunes. Il est ciment de la société, cadre qui définit l'éthique et l'objectif.
Lundi 1er mai 2006 - Aéroport de Batna. Fin de séjour.
Raccompagné avec le 4x4 professionnel de Omar frère de Saïd. Trois frères qui font la route pour moi, 2h aller, 2h retour, après une nuit courte, et le dîner chez les voisins (bientôt cousins par alliance) de Saïd. Très bon séjour.
Lorsque chez Jean-Marie, je parlais de ce séjour, je cherchais de quelle façon je pourrais me rendre utile pour ce pays. Eh bien! comme frère croyant, je compte leur écrire une lettre pastorale, pour les appeler à la confiance, au travail, et à l'engagement. Je reprendrai la rhétorique orientale de Saint Paul, me mettant en avant, soulignant ma foi en Dieu - le Dieu unique - et les appelant au nom de Dieu à entrer dans le combat spirituel, le Jihad pour le peuple et pour le pays.
Après de multiples voyages ici, plusieurs années de rencontres, n'est-il pas temps que je me rende utile à ce pays? Un tel engagement sera une lumière pour ma vie.
- collaboration artistique, promotion culturelle Biskra-Marseille
- apprentissage de la langue
- rêvons un peu: double résidence Marseille & Biskra, poste d'enseignant à l'université de Biskra, beau loft en ville, gardé quotidiennement sous prétexte d'arroser les plantes, par un homme pour s'occuper de la cuisine, du ménage; réception tous les dimanches soir; musique et peinture, dialogues. Salon oriental, terrasse fleurie, paravents, aérateur plafonnier, tapis, cuisine, couchages, tableaux aux murs. Lieu de dialogues, lieu d'artistes.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire