dimanche 25 décembre 2016

Fiançailles à Biskra
Chroniques d'Algérie - décembre 2007

Fiançailles de Rhoma avec la famille Wamane de Biskra.

  Alors que je suis encore à Constantine, je reçois un appel de Rhoma me priant d'avancer mon arrivée à Biskra car la date des fiançailles est devancée d'un jour.  Un oncle doit repartir.  Il me faudra donc voyager le 25 et prendre congé de mes amis/hôtes jésuites.
  Au matin, Georges Carlioz est occupé à différentes courses, ce qui me laisse le temps d'écrire aux Chaudoreille.  Il aura tout de même le temps de me déposer à la gare routière et de me mettre dans un taxi pour Batna. Route rapide dans une Peugeot Expert récente.  Peu de trafic.  A Batna, comme trois autres voyageurs de ce taxi, je dois trouver une voiture pour Biskra.  Il n'y en a pas.  Ils m'invitent à aller vers les bus. Or arrive un taxi pour Biskra. Nous courons pour être les premiers. Ça marche. Voyant mes deux sacs, le chauffeur réclamera une rallonge. Ça fera 200 Da.  D'accord.  A Biskra, taxi vers l'Alia, chez Saïd.

  Retrouvailles chaleureuses.  Sa maison est bien changée, décorée, tapissée. Je le félicite.  Hammanour téléphone. Il m'attend chez lui.  Je suis mieux chez Saïd qu m'a installé dans l'appartement de sa tante, à l'étage inférieur.  Hammanour nous rejoint au café, et nous passons ensemble la soirée.  Il est entendu que nous allons le lendemain à Sidi Okba à 9h chez Rhoma pour ses fiançailles.
  Au matin nous n'aurons même pas à attendre le bus, car une voiture s'arrête en voyant Hammanour , c'est le cousin de sa mère.  Nous frôlons l'accident dans un freinage d'urgence. Peur, mais sans heurt. On pose les sacs chez Hammanour. Sa femme et sa fille sont à Biskra (dans la famille de Baya). Arrivés chez Rhoma, bien ponctuels... il n'y est pas! il est allé faire trois courses alimentaires. Nous l'attendons au café et bavardons avec le maire adjoint.

  Le cortège se prépare pour partir à Biskra. Plusieurs voitures, l'oncle, le frère, le cousin, l'ami, cinq voitures dont seulement une pour les trois femmes - la maman et deux sœurs.  A Biskra nous entrons en passant une simple porte.  La pièce est grande, haute, toute de faïences.  Il y a du monde assis déjà, de vieux, des jeune.  Rachid le frère de Rhoma conduira les négociations pour son frère.  Le notaire, comme les autres, est assis sur un matelas.  Autour de lui se rassemblent ceux qui signeront le contrat de mariage.  Les pièces d'identité, les documents, tout converge vers le notaire.  Plusieurs personnes seront appelées pour la discussion, dont Rhoma.  On se met d'accord.  Une grosse liasse de billets change de mains pour aboutir chez la fiancée.
  Le notaire prend la parole pour un discours qui spécifie les engagements notariés. Puis tous joignent les mains tandis qu'il poursuit par la prière.  L'assemblée ponctue par des Amîn auxquels je me joins.  Bénédictions et actions de grâces.  Chaque fois que le prophète est mentionné, on approuve  Béni soit son nom - sur lui la paix.
  Après la prière on distribue des bonbons et cacahuètes dans des boîtes en plastique et couvercle doré.  Rhoma m'a confié un appareil photo pour prendre tout le monde en souvenir. Cela me met au centre de l'assemblée, et le notaire ne manquera pas de m'adresser devant tous un remerciement appuyé.  Moi qui débarque et ne suis rien de plus qu'un ami, me voici mis à l'honneur au beau milieu d'une alliance entre deux familles. Je suis béni.  La haut à l'étage éclatent quelques youyous. On les aura prévenus de la fin de la cérémonie.
  Une fois encore j'ai pu mesurer combien un mariage est un acte de lien social et familial.  Je crois comprendre que la famille Wamane est une grande famille de Biskra, par le nombre et par la réussite.  C'est une bonne alliance pour Rhoma.  Dans cette cérémonie, c'est honorer l'époux que de l'entourer.  Il apparaît ainsi paré de ses amis, comme autant de valeurs et estimes qui lui sont attachées.  Je suis heureux d'en être, et surpris du poids de ma présence. Dieu soit loué.


Baya
Baya ne viendra pas partager le repas chez Saïd et son épouse Manal.  J'ai bien essayé de l'en convaincre, en avançant que la grossesse de Manal l'oblige au repos et qu'elle ne peut pas préparer de repas. Il faut donc prendre soin d'eux, si possible en leur portant le repas.  Baya approuve.  C'est l'occasion pour moi de préparer un cake aux olives. Certains ingrédients sont interdits: le jambon et le vin.  On les remplacera par du thon et de l'huile d'olive.  Tant qu'à faire on en prépare deux, un pour apporter, l'autre pour goûter.  Tandis que nous sommes en cuisine, je poursuis ma proposition d'aller déjeuner à Biskra chez Saïd et Manal, car Baya n'a pas encore dit oui.  Elle n'est pas emballée par le projet d'y aller.
  Peu à peu je comprends qu'elle vit assez mal le fait de ne pas pouvoir recevoir chez elle.  "Je n'ai pas de salon, je n'ai pas de maison, c'est à moi de recevoir Saïd et Manal, mais sans salon je ne peux pas, je ne me sens pas ici chez moi. Je me suis fait la promesse de ne plus recevoir ni accepter une invitation tant que je n'aurai pas de maison."  J'ai beau argumenter que Manal ne peut pas se déplacer, rien n'y fait.  Je comprends que c'est pour elle une honte et une torture que de se trouver ches les autres, dans une maison bien à eux.  C'est un fer tourné dans la plaie, qui lui rappelle sans cesse sa situation indigne.  J'ai dû vendre mes bijoux, mes parures pour payer les dettes.  Je n'aime pas me montrer faible. Entre mon mari et mes amis, j'ai choisi mon mari.  Dans sa promesse, Baya a choisi de se couper de ses amis.  Elle cultive sa honte et ses conséquences.  Comme puis-je l'approuver ? Je ne peux qu'écouter et comprendre, mais je la trouve fort marquée par les sirennes du matérialisme maison-voiture.  Preuve que ce n'est pas propre à la culture occidentale.  Je suis attristé que Baya boive jusqu'à la lie le jus amer de ses propres exigences. Elle avait sans doute rêvé autre chose.
  Pourtant, ma présence acceptée, son hospitalité à mon égard est bien une ouverture dans sa solitude.  Une chambre a été mise à ma disposition, je vais librement dans la maison sans qu'elle se cache.  C'est ainsi que je sais que je suis désormais compté comme un membre de la famille, un frère.  C'est aussi un assouplissement dans la rude promesse que Baya s'était faite. Elle n'est donc pas tout à fait fermée à recevoir.  Je prie pour que son ostracisme choisi se fissure.  Saïd et Manal sont vraiment des amis. J'espère qu'ils seront l'exception à la règle. Ce n'est pas fait, j'espère seulement.


Avec Hammanour et Baya nous avons longuement évoqué les jalousies dont ils sont l'objet.  Il vivent très mal l'hypocrisie, l'étroitesse d'esprit, le jugement qu'ils perçoivent. Plusieurs anecdotes viennent illustrer la pression qu'ils ressentent. Réflexions à propos de la première chose c'est la maison.  Mais ils n'ont pas un sou d'avance.  La gestion est maintenant remise à Baya qui donne à Hammanour au jour le jour.  Ils voudraient partir ailleurs, se libérer de ce contexte dans lequel ils ne voient aucun avenir, mais au contraire passe-droits et ragots.
  Je fais remarquer à Hammanour qu'il n'est pas très ponctuel au labo: absentéïsme fréquent et sans aucun scrupule, comme bien d'autres.  Puisque tous le font, comment tenir bon ?  Beaucoup d'algériens portent un jugement sévère sur leur société, nourrissant la dévalorisation et les complexes d'infériorité. Pourtant ils ne font absolument pas le lien avec les comportements individuels, je pense à la gestion financière, au rapport au travail, à la parole donnée, à la ponctualité.  Ces comportements lorsqu'il sont généralisés, sont une plaie pour le pays, mais chacun se justifie par des "puisque les autres le font aussi."  Si tu travailles bien, c'est toi qui es perdant.  Et chacun tire à lui la couverture, s'estimant dans son bon droit. Ce peuple n'est pas sorti d'affaire!!  Il a pourtant de telles qualités!!

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