lundi 25 mai 2009

La religion c'est une entreprise.

10 Octobre.
Chers tous,

Je me suis promis de vous donner des nouvelles. Plutôt qu'un long récit, pourquoi ne pas tenir pour vous une chronique des premiers jours ? En voici la septième page.

Parlons argent ! J'ai participé tout récemment à deux événements liés à la recherche de fonds pour l'école.

Je reçois, parmi les très nombreux courriels de Duke University, un appel pressant à me joindre le jeudi suivant à un travail de rédaction de lettres de remerciement. Rendez-vous à 18 heures.

En arrivant, on note mon nom, ça permet de savoir qui a répondu à l'appel. Comme d'habitude lorsque l'on nous demande de l'aide, le dîner nous est offert – c'est-à-dire des sandwich mi légumes – mi poulet, des boissons sucrées, de l'eau en plastique, beaucoup de glaçons, et la panoplie de sucreries (on dit « de douceurs ») : brownies, cookies. Heureusement que c'est proposé, j'aurais pu avoir faim – en fait ça me paraît normal.

Tout en mangeant, je regarde autour, je reconnais quelques collègues. La soirée s'organise, ça ne traîne pas : ça commence par les explications. Nous sommes priés d'écrire à de généreux donateurs pour leur exprimer notre gratitude. Il faut reconnaître que la plupart d'entre nous sont aidés dans le paiement de l'inscription universitaire. Merci aux donateurs.

Chers Monsieur Madame, je m'appelle untel, je suis en telle année, nous vous devons beaucoup, merci beaucoup. Rédiger l'enveloppe et y glisser la lettre.

En fait, on nous propose d'écrire des lettres beaucoup plus personnelles, qui disent vraiment qui nous sommes, ce que nous étudions, les raisons de notre venue, nos projets… Il s'agit de donner de la réalité à ces lettres, de permettre aux donateurs de percevoir l'effet de leur générosité. Or nous sommes une bonne cinquantaine à avoir répondu à l'appel, et chacun écrira plusieurs lettres ce soir. Et demain un autre groupe fera la même chose. On réussit ainsi à écrire à un grand nombre de donateurs, qui recevront une lettre manuscrite, personnelle, chaleureuse.



Nouveau courriel de l'école (parmi les 15 qu'elle m'envoie quotidiennement pour les soirées conviviales, les match de basket, les conférences spéciales, l'élection des délégués, les avis d'annulation de cours etc.). Nouveau courriel donc pour nous solliciter : il s'agit cette fois-ci de participer au phonathon, c'est-à-dire au démarchage téléphonique des donateurs des dix dernières années, pour les inciter à donner à nouveau, et un peu plus.

Re-soirée de bénévolat donc. Re-dîner offert. Sandwich tomate – poulet. Tiens ? on nous propose aujourd'hui les sandwich végétariens, c'est mieux que l'autre jour, pas étonnant c'est organisé par le cercle des anciens étudiants. Ils ont de l'argent.

Nous sommes une trentaine cette fois. Iris commence les explications. Nous allons nous rendre dans un autre bâtiment équipé d'une salle téléphonique avec de nombreuses lignes à disposition. Iris a pour responsabilité de nous rassurer, car la plupart d'entre nous n'a jamais fait ça. Pour ma part je déteste qu'on me téléphone le soir pour me proposer une assurance ou un contrat débile. Ce que je m'apprête à faire n'en est pas complètement éloigné. Je vais déranger des gens chez eux, en famille, des gens généreux pour leur demander de recommencer.

C'est bien organisé, il y a une fiche par personne à contacter. On peut suivre un canevas de conversation, on peut aussi s'en éloigner autant qu'on veut. Il faut noter les réponses : oui ou non, si non pourquoi, si oui combien, voulez-vous recevoir la lettre d'information et merci beaucoup excusez-moi de vous avoir dérangée. Fiche suivante, je recommence.

Ce soir là, en deux heures, j'ai amassé la somme considérable de vingt-sept dollars de promesses de dons. D'autres ont fait vingt fois mieux, ça dépend si ça décroche ou si on tombe sur le répondeur. Beaucoup de familles utilisent le répondeur comme un filtre pour répondre seulement s'ils le souhaitent. Une fois pourtant j'ai été rappelé : mon correspondant a entendu mon message sur son répondeur et rappelle. Antoine ? Yes. C'est Nathan, tu viens de m'appeler ? Nathan est un collègue étudiant. Il est en doctorat, nous avons plusieurs cours en commun. Il est marié, ils ont deux enfants jeunes. Je débite mon petit baratin incitatif pour les donateurs. (Tiens donc, il est étudiant et donateur ? Généreux le gars !) Nathan me dit que les finances sont serrées ces temps-ci : ils vivent à quatre sur sa seule bourse d'étudiant. Et cette bourse n'est pas versée entre fin mai et fin septembre. Nathan s'engage à donner cinq dollars. Et moi je raccroche un peu bouleversé.



La religion c'est une entreprise. Attention, ne pas prendre cette phrase dans un sens péjoratif. Une entreprise qui soude la société, relève des gens, soutient ceux qui sont malades ou isolés, finance des logements, organise la charité, suscite des énergies, encourage le bénévolat…

A l'école de théologie nous sommes 575 étudiants de deuxième et troisième cycle. Oui 575. Noirs, blancs, asiatiques, hispaniques, hommes, femmes, certains tout jeunes, d'autres déjà ordonnés. 575 répartis inégalement dans quatre filières. La mienne est la plus petite (15 personnes), elle est réservée à ceux qui ont déjà un solide parcours universitaire. La plus nombreuse rassemble 140 étudiants dans chacune des trois années du parcours. Quatre vingt dix pour cent des étudiants bénéficient d'une aide financière importante. Quand je vous dis que c'est une entreprise ! Il est préférable de ne pas avoir les deux pieds dans le même sabot si on veut accueillir et financer chaque année 200 nouveaux étudiants !
Ce qu'on appelle école ici se dit faculté en France. Une grande université comme Duke fédère plusieurs écoles renommées. Business, Arts, Droit, Littérature, Médecine, etc. Pour donner une idée de l'entreprise religieuse, il y a aux USA une quarantaine d'école de théologie. Duke est l'une des grandes. Il y en a une dizaine de cette taille : ce sont les universités protestantes (Episcopaliennes, Méthodistes, Presbytériennes, Baptistes). Ce sont Harvard, Princeton, Yale, Duke, Vanderbilt, Emory etc. Ensuite il y a une dizaine d'écoles catholiques qui rassemblent chacune environ trois cents étudiants : Washington, Berkley, Sienna, Notre Dame, St Bonaventure, Boston, etc. Enfin une vingtaine d'écoles plus petites qui forment entre cent et deux cents étudiants répartis sur plusieurs années.

Beaucoup d'étudiants sont mariés. Beaucoup se posent la question de l'ordination. D'autres pensent plutôt à une vie universitaire, ou à une carrière d'enseignant. D'autres seront laïcs chargés de responsabilités pastorales (pastorale de la santé, des jeunes, des vieux, des pauvres, des riches…). Duke est une université interconfessionnelle de fondation Méthodiste (une branche Anglicane donc proche du catholicisme). Nous sommes deux étudiants prêtres catholiques. L'autre, Pierre, vient de l'Angola. La plupart des étrangers viennent d'Asie, de Corée surtout. Tous ont le sentiment d'avoir beaucoup de chance d'être là. Le résultat est une ambiance très chaleureuse, fraternelle, studieuse. Tous sont là par la grâce de Dieu – et vous savez que je n'utilise pas facilement ce genre d'expression ! Et la grâce, il faut savoir lui donner un coup de pouce. C'est pour cela que je participe à ces soirées de collectes de fonds et de remerciements.

Je me suis bien amusé à vous raconter tout cela. Je vous embrasse.

Antoine