lundi 25 mai 2009

Tu préfères la France ou les USA ?

Chers tous,
Je me suis promis de vous donner des nouvelles.
Plutôt qu'un long récit, pourquoi ne pas tenir pour vous une chronique des premiers jours ? En voici la troisième page.

J’aime ce pays et ceux qui le peuplent. Pourquoi ? Je ne sais pas.
J’aime leur patriotisme mais je déteste leur politique étrangère. J’aime leur main sur le cœur tandis qu’ils chantent l’hymne national. Je déteste la violence internationale qu’ils sèment dans le monde. Ce pays depuis cent ans est le pays le plus agressif et le plus dangereux du monde. Cent fois il l’a manifesté, cent fois il a mis le feu à telle ou telle région. J’aime leur gentillesse. On est toujours bien reçu dans une administration, même si les règles sont intransgressibles. J’aime leur affabilité, leur prévenance. Les choses sont organisées. Quand a lieu une réunion, elle est préparée, il y a un ordre du jour, quelqu’un conduit la réunion, elle n’est pas interminable, on sait à quoi s’en tenir en venant. J’aime leur sens de la discipline. Il y a du respect dans ce sens de la discipline. J’aime leur sens de la Loi. La loi fait autorité, c’est elle qui trace les possibles et les impossibles.

J’aime ce pays et ceux qui le peuplent, mais je déteste que l’on me pose la question « tu préfères quoi ? ». J’aime sans préférence. J’aime la France, j’aime l’Algérie, j’aime les USA. Sans préférence. Je connais les charmes et les défauts de chaque culture, mais je n’aime pas que l’on me demande de préférer. Et je regrette que lorsque je loue une qualité d’un pays, l’on me rétorque un défaut. Par exemple :
- J’aime leur gentillesse
- Oui mais c’est souvent assez superficiel
- J’aime leur sens de la discipline
- Oui mais il est lié à une forte pression sociale conformiste
J’aimerais pouvoir dire « J’aime » sans que cela appelle une correction, une restriction. Lorsque vous aimez quelqu’un et que vous le dites, vous n’ignorez pas que cette personne a des défauts. Vous dites « J’aime » sans aveuglement, sans occulter le reste. Rétorquer un défaut, n’est-ce pas prétendre corriger la parole de l’autre, incomplète ? N’est-ce pas prétendre qu’au lieu de dire une demi-vérité, on pourrait la dire tout entière en ajoutant quelque restriction ?
Lorsque j’écrivais plus haut que j’aime ce pays, n’avez-vous pas entendu dans un coin de votre esprit une restriction, un défaut ? J’essaie d’apaiser en moi ce caractère, et d’écouter l’autre sans restriction : sans rétorquer en moi-même.
Voilà pour le sermon du jour.

Que suis-je venu faire ici ? Des études sur les « enjeux éthiques du diagnostique clinique ». Pourquoi pas à Paris ? Par exemple à l’Université Jésuite de la rue de Sèvre ? Trois raisons à cela (il y en a d’autres).
1- Je voulais d’abord étudier et penser à l’étranger, c'est-à-dire en étant moi-même un étranger. Je trouve qu’il y a un surcroît de liberté de penser lorsque l’on est un étranger : on n’est moins soumis au conformisme, parce qu’on est d’emblée différent. Et cette altérité est valorisée.
2- Je voulais étudier dans un contexte qui ne soit pas exclusivement catholique. Je me méfie des groupes homogènes, de l’ « entre-soi ». Ça manque un peu de respiration. A Duke University, il y a plusieurs traditions chrétiennes. Elles se confrontent, dialoguent, bâtissent ensemble. Le statut de la Vérité est différent. Personne n’en dispose. On la cherche. Comme Dieu, personne n’en dispose, on le cherche.
3- Je voulais étudier selon ce pragmatisme anglo-saxon dont la réflexion s’empare des problèmes tels qu’ils se posent. En France, c'est-à-dire en terre cartésienne, on est encore sous le règne de Descartes : on va commencer par faire de la philo, de l’anthropologie, « qu’est-ce qui fonde la dignité de la personne humaine, qu’est-ce qui fonde le statut de l’embryon comme personne, qu’est-ce qui fonde les droits de l’homme ? » Ce sont d’excellentes questions. Elles se soucient des fondements. Mais ça entraîne un certain fondamentalisme. Le pragmatisme anglo-saxon procède différemment. Il aborde les questions à partir des problèmes concrets, des situations problématiques. Pour un domaine aussi casuistique que la bioéthique, c’est cette approche que j’ai voulu préférer.

Ce n’est donc pas une chronique que je vous ai écrite aujourd’hui, m’en tiendrez-vous rigueur ? J’ai l’esprit bouillonnant ces premiers jours, et je vous fais part de mes bouillonnements.
Je pense à vous tous avec affection.
Je vous embrasse,
Antoine