lundi 25 mai 2009

Dix ans de prêtrise



21 Novembre 2008

Merci à toute la communauté Ste Claire d'avoir pensé à cette date anniversaire. C'est aussi l'anniversaire de l'ordination d'Arnaud. Le 21 novembre, il y a dix ans, l'Église m'ordonnait prêtre par les mains de mon bien aimé évêque Georges Gilson.

Dix ans tellement inattendus ! Dix ans à Marseille.

La nuit de la foi est venue, déstabilisante. C'est arrivé quelques mois après que le cancer soit venu me visiter, avec l'impression que la mort était venue me frôler. C'était en 2001, à l'automne. Le mélanome n'a pas de traitement. J'ai souhaité mourir plutôt que me dégrader peu à peu. Mais l'amputation du doigt porteur de la tumeur a permis de retirer le cancer. On a vérifié l'absence de métastase, et voilà mon garçon, vous pouvez repartir. Grande période de joie. (Début 2002). Grande période de merci à Dieu, de goût de la vie. Cet épisode a changé ma vie. Ça m'a fait réfléchir sur les (nombreuses) choses que j'acceptais de faire par obligation. J'ai éliminé pas mal de réunions chiantes, sans queue ni tête, sans ordre du jour et sans décision prise. J'ai reçu ma part de critiques pour cette liberté. Je crois que j'ai bien fait.

L'autre conséquence c'est la nuit de la foi. Avant, Dieu était tous les jours dans ma vie, mes pensées. Dieu, celui qui désire ma vie, qui attend tant de choses de moi, qui me justifie: « Vous pouvez dire toutes les critiques que vous voulez, je sais, moi, que Dieu me désire et m'attend. » Ce Dieu que j'ai tant aimé, qui a porté et soutenu mes jours et mes choix, ce Dieu s'est effacé. Il n'était plus là. J'ai passé des moments terribles, où plus rien ne soutenait ma vie. Ces moments sont revenus plusieurs fois, pendant plusieurs années. Le trou vide, l'absence de motif, l'envie de rien. Je me suis demandé si j'avais moralement le droit de rester prêtre, de conduire la prière des chrétiens lorsque mon cœur sans cesse demandait : « Tu es sûr de ce que tu pries à haute voix ? »

Il y a des expressions qui ne rendent pas bien compte de cette nuit de la foi. « Tu n'y crois plus ? » Cette expression ne reflète pas ce que je vis. Ma nuit de la foi n'est pas athée. Ma nuit de la foi est manque. Comme il me manque, Lui qui remplissait mes jours, mes enthousiasmes, mes projets ! Ma nuit de la foi est tissée de « malgré l'absence. » Le doute, voilà encore un mot qui n'est pas ajusté. Je ne suis pas dans le doute mais dans le manque, l'absence du compagnon. Je lui en ai beaucoup voulu. Lui en vouloir permettait encore sa présence. Cette nuit de la foi ne s'est pas atténuée.

Pendant toute cette période, c'est incroyable, je n'ai jamais perdu la joie d'être prêtre. Je suis toujours allé à Ste Claire joyeux, heureux. Le goût de célébrer avec les chrétiens de Ste Claire, de rassembler la prière pour la lier en gerbe, en bouquet, et l'offrir à Dieu. L'incroyable chance d'être toujours invité au coeur de la vie, là où elle bat intensément, avec ses questions brûlantes, ou joyeuses, ou dramatiques... la situation de prêtre nous place là où la vie est la plus intense, et souvent la plus vraie.

J'ai souhaité cette vie de prêtre, j'ai voulu mettre ma vie sous le signe de l'amour (décision que j'ai prise à l'âge de 14 ans). Je ne suis pas certain d'avoir rempli le contrat, mais je suis certain d'aimer, d'être aimé, de me laisser aimer. C'est selon moi un critère essentiel. Je crois que c'est faire honneur à Dieu que de faire honneur au don de la vie. Il importe que nos actes, nos paroles, nos humeurs, soient un hymne joyeux à la grâce qui nous est faite. Or cette grâce, c'est la vie que nous pouvons librement mener par la victoire du Christ sur les forces de peur, d'injustice, de jugement.

J'ai fait un triple voeu de Joie - Simplicité - Miséricorde. Ce sont les mesures que j'utilise pour me repérer, les bâtons sur lesquels je m'appuie à la suite du pasteur Wilfred Monod et de la communauté de Taizé. J'ai deux familles. La Communauté Mission de France et ma nombreuse parenté. Je leur suis très lié. Des deux côtés, mon caractère indépendant et têtu est parfois un grain de sable dans les rouages.
Le célibat m'a offert de rester un chercheur. C'est là toute ma vie. Les certitudes éveillent en moi la défiance. Mais la quête de Dieu, l'ajustement constant de mon propre chemin, la recherche de ce qui est juste, la recherche scientifique, voilà ma vocation : comment parler de Dieu avec des mots qui touchent et ne mentent pas? Comment rendre compte de notre foi vacillante et pourtant source fidèle ? Comment accepter que nos vies ne soient pas pures, mais mêlées de sentiments, de passions, de générosités, d'égoïsmes aussi...

L'immaturité rêve de pureté. Elle a raison, elle est exigeante. La maturité cherche à aimer la vie non pas telle qu'elle la rêve mais telle qu'elle est avec ce que nous sommes. C'est ce que dit la parole de sagesse: "Si tu ne peux avoir ce que tu aimes, applique-toi à aimer ce que tu as."


La reprise des études est occasion de redécouvertes. Je ne m'y attendais pas, je croyais ne m'occuper que de bioéthique. Tu parles! J'ai replongé dans la théologie, la philo, l'anthropologie. Et ça m'intéresse toujours autant.
Quatre cours = plein temps. Un cours sur Saint Augustin. Je n'ai pas eu de mal à suivre car j'ai beaucoup travaillé, mais j'ai eu du mal à apprécier le ton péremptoire, souvent doctrinal. Ce n'est pas le cas des Confessions de St Augustin, mais ce livre là n'était pas au programme.
Un cours sur la théologie de Henri de Lubac et son influence sur le second concile du Vatican. Très intéressant. Aucun rapport avec la bioéthique. Mais au programme.
Un cours sur l'éthique dans les œuvres de Søren Kierkegaard et Martin Luther. On a beaucoup approfondi la lecture plutôt que de lire des dizaines de livres (ce que font d'autres cours).
Un cours d'anthropologie. Qu'est ce qui fonde notre existence d'humains, selon la foi chrétienne. Notre nature créée, notre nature d'image de Dieu, notre nature homme et femme, la distorsion des relations humaines, le mal et le malheur, la mort engloutie dans la mort de Jésus, le péché vaincu, la peur terrassée, la liberté pour tous. C'est mon cours préféré. Très bon professeur, un pasteur baptiste black, grandes qualités pédagogiques, poussant chacun à son raisonnement personnel.

Le second semestre (de janvier à mai) sera tissé de : Un cours de philosophie des sciences (Newton, Leibniz, et le concept d'espace). Un cours de théologie philosophique. Un cours de philosophie de l'éthique médicale. Un cours de théologie pastorale : « Souffrir et mourir dans différents contextes culturels ». Je commence déjà à me procurer les livres. Ça promet encore beaucoup de travail, mais je suis venu pour ça.

Chers amis, on ne peut pas dire que ce soit là une chronique de mes découvertes de la vie US ! Je n'ai fait que parler de moi, ce qui m'arrive de plus en plus souvent. J'ai remarqué que l'âge provoque ça. Mais cet anniversaire d'ordination, c'était l'occasion! Nombreux d'entre vous y étaient présents. C'est un peu un hommage qui vous est dû, pour vous dire ce qu'ont été ces dix ans. Je pense ne vous en avoir dit que le dixième.

Je vous embrasse
Antoine