lundi 25 mai 2009

A quoi appartiens-tu ?

Chers tous,

Je me suis promis de vous donner des nouvelles. Plutôt qu'un long récit, pourquoi ne pas tenir pour vous une chronique des premiers jours ? En voici la sixième page.

Le rythme de travail s'est nettement accéléré. Mais j'y ai beaucoup de plaisir.
Quelques nouvelles, certaines drôles, d'autres étonnantes

Aujourd'hui je suis allé m'acheter une chemisette à col romain !
Je ris déjà en imaginant la tête de certains : quoi ?! un col romain ?! Une boîte à camembert autour du cou ?! Voilà notre Antoine barré à droite. On nous l'aura changé ! A vrai dire, ici il m'en faut une. De même que je vous disais dans une précédente chronique que ne pas parler de ses titres et diplômes, c'est comme un mensonge par omission, de même dans certaines circonstances (épiscopales par exemple) il est inadéquat de ne pas porter la tenue de rigueur. Enfin voilà… il faut glisser une barrette de plastique dans le col, ça n'est pas très confortable, ça me serre le cou, mais c'est comme ça.

J'ai acheté une voiture pour aller chaque jour à l'université (30 minutes). Une Toyota Corolla 1996. Elle appartenait à la paroisse voisine qui en a acheté une neuve. Je l'ai eue pour 1000 dollars. C'est un bon prix, mais une dépense imprévue car je croyais pouvoir utiliser une voiture de la paroisse. Les voitures japonaises sont de loin les plus vendues. Elles ont la réputation d'être reliable : on peut compter dessus. Les constructeurs US voient continuellement baisser leurs ventes. D'une part ils sont un peu discrédités, leurs voitures sont perçues comme fragiles. Mais en plus leurs gammes ne proposent pas assez de petites voitures, elles n'ont pas anticipé la hausse du prix des carburants. Beaucoup de gens vivent encore en niant complètement à la fois cette augmentation et la pollution générée. Partout des très gros trucs, trop gros pour être appelés voitures, et pas assez pour être appelés camions. Grosses voitures, à la fois pour épater la galerie, pour la sécurité, pour transporter des tas de choses.

Les T-shirts marqués DUKE ont fleuri depuis une semaine. Plusieurs raisons à cela. Il y a eu un match de football américain contre l'ennemi, j'ai nommé l'université publique UNC. Places gratuites pour les étudiants, réjouissances organisées, T-shirt gratuit, Hot-dog et graillon à profusion.
On a perdu. Honte ! Têtes basses du lundi matin. Le cœur n'y est pas. La chair est triste, et y'a du boulot en retard. Les marseillais savent ça : je ne connais pas d'autre ville en France qui vive son identité commune avec une telle intensité. Et l'OM y est pour beaucoup. C'est l'une des grandes qualités de Marseille. On peut railler la fierté Marseillaise, pour ma part je l'ai aimée. Je retrouve ça ici, à la taille du pays tout entier ! La dimension d'appartenance a beaucoup d'importance. Where do you belong ? Où appartiens-tu ? Appartenir est ici un verbe actif ! Dis-moi où tu as tes liens, je te dirai qui tu es. Et on est tenu de fréquenter assidûment ses lieux d'appartenance. On paie sa cotisation, souvent élevée. On se porte bénévole lorsque l'on est sollicité, on se rend à la fête annuelle, ainsi qu'aux réunions. On se reçoit entre adhérents, les enfants se connaissent, se fréquentent. Bref c'est toute une vie sociale qui s'organise autour de l'appartenance. C'est l'une des raisons pour lesquelles il y a tant de monde dans les églises : ce sont des lieux majeurs d'appartenance. Bien sûr ça a ses mauvais côtés. Mon oncle François Carlioz écrit « leur conformisme social m'est insupportable ». Il sait de quoi il parle, il fut étudiant dans ce pays. On comprend la cohérence de cette société US, non pas qu'elle soit plus cohérente qu'une autre, mais est fédère ses membre, elle les agrège, elle les drive, elle les justifie, elle est leur rédemption. Bon c'est vrai, là j'exagère un peu, mais c'est pour me faire mieux comprendre. Ici encore les marseillais auront saisi avant les autres…

La semaine dernière, à Duke University, nous étions convoqués à une cérémonie d'ouverture. Ouverture de l'année, solennelle, liturgique, haute en couleur. Tout se déroulait dans la chapelle (2000 places). Les étudiants arrivent et s'assoient dans l'assemblée. Puis procession tout le long de l'allée centrale : la croix d'abord, puis les servants d'autel, puis la bible portée haut, puis sur deux rangées, l'ensemble du corps professoral dans leur robe académique, noire, liserée selon la spécialité. Orange pour la Philosophie, rouge pour la Théologie, jaune pour l'Histoire, bleu pour les Sciences Bibliques, or pour les Arts, vert pour la Littérature… n'oublions pas le couvre-chef, cette coiffe noire au rebord carré que l'on voit portée par les lauréats en fin d'année. Enfin venaient le doyen de la faculté et le président de l'université. Les symboles parlent d'eux-mêmes (d'ailleurs ils sont faits pour ça) : à bien y regarder, les professeurs, dans leur habit liturgique, font figure de « prêtres de la Connaissance ». Ils s'assoient dans les premiers rangs, et ceux qui ont été récemment appointés sont appelés pour recevoir l'imposition des mains ! La plèbe estudiantine assiste, médusée et envieuse, rêvant d'une superbe carrière universitaire qui les propulserait, en robe et coiffe, au premier rang. La motivation se trouve soudainement vivifiée, l'étudiant est prêt à donner le meilleur de lui-même. C'était le but. La cérémonie a fait son oeuvre.

Chers tous, il est bien tard, et je me lève tôt.

Je vous embrasse

Fâaather Antoine